J’aimerais vous persuader, que le monde ne change pas parce que de nouvelles technologies émergent, mais que de nouvelles technologies émergent parce que des gens les inventent et qu’elles deviennent visibles car le monde les accepte. Et le monde les accepte parce que le monde change.
Il faudrait éviter d’avoir une attitude de soumission par rapport aux technologies qui peuvent sembler à chacun d’entre vous un peu envahissantes et se dire que, malgré tout, globalement, le monde est maître de l’émergence ou de la non émergence de technologies nouvelles.
Pour vous citer un exemple, le discours sur les nouvelles technologies ne date pas d’hier. Il y a eu de grandes disputes éducatives au 17ème siècle, chez les Jésuites, pour savoir si l’utilisation intensive de l’image pouvait être un accélérateur ou un frein à l’éducation. Qui s’en souvient ? A mon avis très peu de gens, à part quelques spécialistes. Pourquoi ? Parce que probablement la préoccupation du monde, à ce moment-là, même si la technologie existait avec la lampe magique, n’allait pas de concert avec l’émergence d’une technologie de l’image.
Ce que j’aimerais montrer, c’est que plus au fond, ce qu’on croit être un débat nouveau sur l’émergence d’une transformation de l’acte d’enseigner, l’acte d’éduquer, est en fait une très vieille querelle dont on peut lire l’exposé, à mon avis le plus ancien, dans un dialogue de Platon que l’on a tous étudié à l’école, qui s’appelle le Ménon. Dans celui-ci Socrate dispute avec Ménon pour savoir si la connaissance est acquise lors d’une transmission de quelqu’un qui sait vers quelqu’un qui ne sait pas ou de l’émergence de cette connaissance à l’intérieur même de celui qui n’a pas encore pris conscience qu’il connaissait. Pour sa démonstration, Socrate, pédagogue par excellence qui se refuse à être un instructeur, fait accoucher le petit esclave de la connaissance dont il est porteur sans le savoir. Cette connaissance que nous connaissons tous, à savoir que la diagonale du carré engendre une surface égale au double de celle du carré unité naît du petit esclave sous la gouverne de l’accoucheur Socrate. Je pense que ce texte on pourrait le relire fréquemment et au passage je vous signale que Michel Serres en fait une très belle lecture.
Ce texte signifie qu’il y a vingt-quatre siècles, on se disputait déjà sur la façon d’acquérir des connaissances et que la pédagogie s’est construite sur l’idée que le pédagogue est un accompagnateur de celui qui apprend.
Nous remarquons donc que cette instruction dont on sent bien qu’elle commence à nous échapper, dont on sent bien, quelque part, qu’elle n’est pas forcément bien adaptée au monde dans lequel on est, n’est pas en fait la forme la plus ancienne de l’éducation. En fait l’instruction est une forme récente de l’éducation qui a été mise au point à la suite de la Révolution française quand on s’est mis à penser que le savoir pouvait gouverner le monde à travers l’institutionnalisation des grandes écoles d’ingénieurs et des grandes écoles normales. Cette " révolution des savants " à été suivie au niveau de l’école par une alliance un peu douteuse entre Victor Cousin et Guizot pour finalement s’accomplir totalement avec les lois Jules Ferry de la IIIème République.
Finalement l’instruction est une forme moderne de transmission du savoir. Et comme beaucoup de choses modernes leur espérance de vie est relativement courte.
Ce qui change indéniablement dans le monde dans lequel nous vivons c’est le rythme de changement du monde lui même. En clair il y a plusieurs millénaires l’environnement dans lequel se trouvaient les gens, perdurait plusieurs millénaires. Il y a un bon nombre de siècles, l’environnement social, culturel dans lequel se trouvaient les gens, durait plusieurs siècles. Puis ont émergé tout un tas de technologies, des rapports sociaux nouveaux et puis surtout un accroissement démographique qui a concentré les personnes. Cette dimension démographique est particulièrement importante car vous savez que dans un espace restreint la circulation est la condition de la cohabitation. Cela engendre de la mobilité, du changement.
Ce sont les hommes qui engendrent le changement. Pour supporter les effets de ces changements, ils doivent se donner des outils, des formes d’organisation sociale, ils sont amenés à occuper de plus en plus de lieux, à manipuler de plus en plus de techniques ce qui engendre des changements de plus en plus rapides et des technologies d’accompagnement sans cesse plus rapides et des modes d’organisation sociale qui se renouvellent sans cesse.
A partir d’une certaine période, celle curieusement qu’on appelle " les Trente Glorieuses " quel chose a changé fondamentalement. Beaucoup de gens pensent qu’elles ont été " Glorieuses " parce qu’elles venaient après la guerre. On pourrait s’étonner alors qu’ il n’y a pas eu les Trente Glorieuses après la guerre de 14, ni après les grandes guerres qui se sont terminées en 1815. Je pense, que ce fut l’époque où le rythme des changements des hommes a été le même que celui des formes d’organisation sociale et des technologies : c’est-à-dire une trentaine d’années, une génération comme par hasard. Dans cette affaire ce qui est assez curieux, c’est que les hommes, eux, ne se reproduisent pas à une vitesse sans cesse accélérée. Grosso modo pour " produire un homme ", le mot est assez déplaisant mais prenons-le comme tel, il faut une période dont on pourrait dire qu’elle est toujours la même, mais j’ai tendance à penser qu’elle se rallonge de plus en plus. Il y a très longtemps, un garçon, une fille atteignait l’âge adulte peu après sa puberté. Au début du siècle, vers une vingtaine d’années et maintenant, les jeunes s’intègre comme adulte dans l’organisation sociale beaucoup plus tard.
Ce que je veux souligner, c’est que maintenant éclate un problème que vous connaissez bien parce qu’il est au cœur même des concepts de formation continue, de formation permanente. En effet l’évolution de l’environnement est telle que l’homme sait, ou du moins c’est ce que l’on pense, qu’il va devoir s’adapter au monde de façon continue, en se formant, " en apprenant tout au long de la vie "... Comment ne pas comprendre ne pas comprendre l’angoisse de ces jeunes qui comprennent que ce que l’on attend d’eux c’est qu’ils vont " devoir faire des devoirs " (pour risquer le jeu de mot) toute leur vie.
Comment sortir de ce dilemme ?
La connaissance est quelque chose qui nous permet de trouver une solution quand nous sommes face à un problème. Une connaissance ce peut-être un savoir, une interprétation de la réalité, mais aussi est un être humain avec qui nous sommes en relation qui peut nous aider. Une connaissance c’est toujours ce qui nous permet de surmonter une difficulté.
De la connaissance on ne dit pas qu’on l’échange comme on le dit du savoir, on ne dit pas qu’on la transmet comme on le dit du savoir, de la connaissance on dit qu’on la partage. Sur ces partages de connaissances, se bâtissent des liens, se bâtissent des collectifs qui suivent le rythme du monde. Parce que vous vous couchez le soir, vous allez dormir tranquillement, vous vivez normalement même si tous les matins, on vous serine qu’il faut vous former aux NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication), qu’il n’est pas pensable qu’un bon professeur de philosophie ne connaisse pas les arcades de la physique quantique et qu’un professeur d’anglais devrait connaître tous les mots modernes des programmeurs informatiques, le jargon des chanteurs de rock. Vous avez tous remarqué qu’aucun adulte n’obéit à ces injonctions et pourtant ! le monde se transforme, évolue et dans la majorité des cas on arrive à former des adultes, à éduquer des enfants. Cela veut bien dire qu’il y a de la pratique collective dans le monde qui échappe à l’individuel, puisque le monde change vite alors que les gens évoluent lentement.
Ce problème est incompréhensible car ce collectif dont nous parlons n’a pas de définition aussi précise, aussi efficace, aussi bien quantifié, que le concept d’individu. Tout est marqué dans notre monde par le " je pense donc je suis " du cartésianisme. Personne ne sait ce que veut dire : " nous pensons, donc le " nous " est ". Les technologies, la prise de conscience obsessionnelle " je " dans notre société, laissent une part extrêmement faible une définition du " nous ". Et c’est pourtant grâce au " nous " que le " je " peut se reposer, c’est grâce au " nous " que le " je " peut vivre en maintenant sa lenteur, son temps propre au sein des trépidations du collectif.
Vous devez être étonnés de m’entendre parler de cela, après avoir vu, pendant la journée, des logiciels éducatifs, des problèmes de productions multimédia et des choses de ce type-là. Mais, si j’ai voulu souligner ce rapport entre le temps individuel et le temps collectif, c’est pour faire émerger deux choses :
On parle plus en plus de pédagogie et de moins en moins d’instruction. Le modèle émergent est celui où le pédagogue est un accompagnateur, quelqu’un qui aide, quelqu’un qui apporte des ressources, et quelqu’un qui vient en soutien. On dit qu’il faut mettre les enfants en situation d’éveil, de créativité, de production, de mutualisation. Dans les faits, les choses se transforment mais, malgré tout, on vous propose toujours des technologies et même de nouvelles technologies qui sont modélisées selon le principe de l’instruction. Cela veut dire que le savoir est détaché, et qu’il faut trouver des moyens plus ou moins séduisants, plus ou moins contraignants, plus ou moins valorisants, pour faire entrer cette chose étrangère dans la tête des enfants ou des adultes.
Ce que je vous propose, c’est tout simplement de reprendre le problème à la base et de se dire que ce qui compte finalement c’est que la connaissance soit dans la tête des enfants non parce qu’on la introduite, mais parce qu’elle émerge de la propre vie de celui qui apprend. Ce qui compte c’est que face à un problème un personne sache agir, trouver la bonne ressource, avoir la bonne réaction, solliciter la bonne personne ? Vous voyez que dans un cas il produira une connaissance, dans un autre cas il trouvera une connaissance, dans le troisième cas il trouvera un humain qui n’est rien d’autre qu’une de ses connaissances.
Donc, ce que je propose c’est que l’on essaie d’être dans l’espace de la connaissance. Qu’on se cultive dans cet espace-là, qu’on s’épanouisse dans cet espace-là et qu’on considère tous les autres comme des accompagnateurs de son propre épanouissement qui demande enrichissement et repos alternativement.
Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de technologies qui essaient d’accompagner cet effort. Ma raison d’être parmi vous ce soir, c’est que je pense que " les arbres de connaissances " sont une technologie de soutien à cet accompagnement, à cette mutualisation, au partage de connaissance. Il va falloir qu’elle fasse quoi cette technologie? D’abord elle doit montrer aux gens, c’est ce qu’est ce " nous " ? ce groupe classe ensemble ? Cet ensemble d’établissement ? Ce que c’est que ce collectif de gens qui travaillent en même temps dans une entreprise ? Ces gens qui, dans un quartier, font des choses ensemble et essaient de s’entraider ? Ensuite elle va devoir me montrer où je suis par rapport à ce " nous " ? Quel problème je me pose ? Quelles solutions j’élabore ? Qu’est-ce qui peut m’aider à l’élaboration de ces solutions ? Qui peut m’aider à l’élaboration des solutions ?
Si cette technologie fait ça, elle donnera sens au collectif , elle me persuadera de l’existence de ce collectif, il pourra devenir un concept performant pour organiser mon rapport au monde. Soyons bien clair, cette approche n’est pas une approche collectiviste, il ne s’agit pas de définir des groupes sociaux avec des finalités génériques auxquelles les gens doivent s’y soumettre. Il s’agit bien d’un " nous " c’est-à-dire un ensemble de " je ". Mais un ensemble de " je " qui ne se pensent pas comme séparés des uns des autres, mais se mêlant les uns avec les autres, partageant des choses les uns avec les autres, métissant leurs connaissances.
Avant de vous montrer les arbres de connaissances, je pense qu’il y a une autre technologie qui fait cela, et qui, à mon avis, est la vraie révolution de ces dernières années.
On vous parle pour vous tromper de la révolution de l’Internet, il n’y a pas de révolution de l’Internet. Il n’y a pas de révolution de l’Internet parce que cela fait quatre ans qu’on entend parler de la révolution de l’Internet et que l’Internet à 30 ans. Que s’il y avait eu une révolution de l’Internet on l’aurait su beaucoup plus tôt. Donc, une fois de plus, on vous fait croire que la révolution c’est une technique, c’est des tuyaux, c’est des serveurs, des machines. C’est faux. Ces machines étaient là, elles sont là depuis très longtemps. Elles sont tellement peu révolutionnaires, elles ont été mises au point pour et par l’armée américaine. Elles ont été rapidement détournées, vous le savez peut-être, par les savants du monde entier. Ils ont parasité ce réseau parce qu’eux produisant du savoir, ils savent le temps qu’il faut pour produire du savoir. Leur production visible c’est essentiellement des articles dans des revues scientifiques. Pourtant leur pratique quotidienne ne se satisfait pas de produire des savoirs de cette façon là. Ce qu’ils font réellement c’est partager des hypothèses, des résultats d’expériences, des intuitions, des solutions et ce partage de connaissances, cette coproduction de connaissances ils l’ont fait à travers Internet, en s’envoyant des messages à travers le monde entier. Ils l’ont fait de cette manière parce qu’autrement ils étaient en train de faire exploser littéralement les factures téléphoniques de leurs centres de recherche, et que la gestion des courriers et des fax était longue. De l’internet ils en ont fait usage pendant plus de quinze ans en le sachant tous, sans que le monde extérieur dise qu’il y avait là une révolution.
Alors où est la révolution ? Cela n’a pas été une révolution de type technique au sens matériel du terme, elle l’a été parce qu’un certain nombre de chercheurs du centre d’études et de recherche nucléaire situé près de Genève ont inventé quelque chose que l’on appelle le " web ". Le web c’est une toile si on traduit littéralement, en fait c’est avant tout une certaine façon d’exploiter cette chose qui était là depuis longtemps, à savoir l’internet. Ce nouveau mode d’exploitation est due à l’invention d’un module logiciel qui permet à la fois un mode de lecture équivalent pour tous, quelle que soit l’origine du document, et un mode d’écriture standard de tout document. Ce qui a été inventé, ce ne sont pas des tuyaux ou des serveurs, c’est un nouveau mode de production. C’est un nouveau mode d’exploitation de cette production.
Alors vous allez dire, des modes d’exploitation, des modes de production, cela fait deux siècles qu’on en invente partout et on sait que très souvent cela permet surtout une plus grande exploitation des gens. De plus ce n’est pas parce qu’on invente part qu’il y a une révolution. Alors pourquoi, y aurait-il là une véritable révolution ? Parce que je crois que c’est la première fois dans l’histoire que l’on a inventé un mode de production et un mode d’exploitation qui n’a pas été privatisé dès son apparition. L’Internet, je ne dirai pas que c’est gratuit, cela est faux, mais au regard de la richesse que cela draine, ses outils sont d’un coût dérisoire. A l’époque où Jacquard inventait un nouveau mode de production qui a permis un nouveau mode d’exploitation de la force de travail, croyez moi, les machines à tisser valaient aussi chères qu’une Roll Royce aujourd’hui. La révolution, elle est là. Ce nouveau mode de production a été rendu public à une vitesse absolument stupéfiante. Pour deux raisons. D’abord, parce que cela était la volonté des inventeurs, et cela, je crois, est quelque chose de très important parce que c’est un peu l’héritage de la génération qui a rêvé de " changer la vie " à la fin des années 60. Ensuite, parce que cela produit de l’information, c’est à dire une matière première au développement la connaissance, et que comme vous le savez, ce qui caractérise la connaissance, c’est qu’elle est très difficilement privatisable qui s’enrichit quand on la partage.
Si j’ai une connaissance, mon intérêt est de vous la communiquer le plus vite possible. Plus une connaissance est partagée, plus d’une certaine façon elle enrichit celui qui la possède. Là, on est dans un régime qui déroute totalement les gens qui font de l’exploitation économique, à l’heure actuelle, parce qu’ils sont habitués à avoir toujours les mêmes réflexes qui sont ceux de la privatisation des sources de la production de richesse. Avec la connaissance ils sont perdus, ils ne savent pas faire. Combien de temps cela durera-t-il ? On peut craindre le pire, mais pour l’instant comme les puissants ne savent pas encore arracher la connaissance à sa logique de partage, au lieu de désigner le vrai lieu où la connaissance est produite (dans la vie des humains, dans leurs expériences, par leurs efforts à surmonter leurs problèmes) ils nous désignent un lieu qu’ils savent s’approprier, les tuyaux, les serveurs, les technologies....
J’ai écouté un certaine nombre de choses cet après-midi et j’ai été assez étonné de ne voir dans un certain nombre de logiciels éducatifs, même s’ils permettent un meilleur contentement de celui qui l’utilise, qu’un moyen de maintenir l’enfant ou l’adulte, dans une position de consommateur. Et c’est la position que l’on prends quand on décide de " brancher " un enfant ou un adulte sur le web, sur l’Internet. On se dit que c’est bien, que l’on va mettre des connexions à Internet dans toutes les classes, que cela va être impeccable, que les enfants vont avoir accès à toutes les encyclopédies du monde…
En fait je ne sais pas si vous avez déjà vécu ce que font les enfants avec les connexions web. Bien loin d’être les consommateur d’information que l’on imaginer, ils deviennent des producteurs de pages web. Très rapidement, ce qui les intéresse, c’est de faire eux-mêmes leur page. Ils deviennent des producteurs, or on sait tous comme enseignants, que l’enfant n’apprend que s’il est producteur. On lui donne des rédactions à rédiger, des problèmes à résoudre, des versions ou des thèmes à traduire, des expériences de Sciences à faire, des feuilles d’observation à remplir. On fait tout ce qu’il faut pour qu’il soit un producteur. C’est par la production d’un résultat que la connaissance émerge, c’est devant une difficulté qui lui est présentée que l’enfant apprend vraiment.
Et c’est pour cela que votre réticence, votre intuition devant certaines approches dites pédagogiques avec des nouvelles technologies me semble fondée. Quelque part, vous vous rendez compte que le cadre est étriqué. Qui a cru qu’un enfant apprenait la chimie quand on lui offrait à Noël, la boîte du petit chimiste. Bien sûr, cela va peut-être lui donner goût et il écoutera mieux le cours ; mais cela n’en fera pas vraiment un chimiste. Est-ce que cela en fera vraiment quelqu’un qui aura des connaissances dans cette matière ?
Notre système n’a quand même pas toujours échappé à ce défaut. En un siècle on a fait faire des devoirs aux enfants et on leur en fait faire encore. Après tant et tant de devoirs je m’étonne encore que l’on dise que les enfants n’ont pas le sens des devoirs, du devoir. Ou alors à qui la faute ? Car après tout quel est le devenir du devoir d’un enfant ? Si ce n’est, au bout d’un certain nombres d’heures, de jours, de semaines ou de mois, la poubelle. Et là, il y a un vrai problème. Les enfants ont été de vrais producteurs. Mais d’une certaine façon, la valorisation qui est faite de leurs devoirs, n’a jamais été étudiée ou réfléchie. Aujourd’hui, lorsque dans une petite école, un enfant fait sa page web, il va demander à son professeur si les mots sont bien écrits, si les formules sont exactes, si la recette est bonne, si les images sont bien faites, si ce qu’il dit dedans est vrai ou faux. Il va avoir ce réflexe de vérifier la connaissance qu’il met dans sa page. Et sa page va être déposée dans cet espace qu’est le web et peut être qu’un jour quelqu’un viendra la visiter. Je voudrais montrer à travers cela, que ce que le web apporte aux enfants ce n’est pas tant l’accès à des bases de connaissances quasiment infinies, mais surtout un espace de valorisation de sa propre production.
Il y a une autre tentative pour nous inciter à ne pas voir le vrai changement qui se passe au niveau de la connaissance. C’est de nous imposer la communication comme modèle dominant du monde dans lequel nous vivons. Il n’y aurait que messages, transmission, émetteur, récepteur. Ce modèle de communication on en a quasiment fait une obligation pour tous. Dans certaines écoles l’enfant qui ne communique pas est mal jugé alors que seul dans son coin il peut faire un travail tout à fait correct. Dans les entreprises c’est pareil on connaît des adultes qui sont renfermés tout en étant de très bons professionnels. Et il y a des gens très heureux dans la société qui vivent replié sur eux mêmes sans embêter personne. Malgré cela tout nous persuade qu’en dehors de la communication il n’y a pas de vie possible
Pourquoi cette exigence absolue à communiquer? Je ne sais pas , mais je sais que cela à pour effet de placer la connaissance sous le régime des lois d’échanges des produits. Ainsi elle n’existe vraiment que dans les canaux où on la voit passer. On peut alors en établir la valeur et en retirer des taxations. Les grands industriels et les états vont pouvoir imposer sur la connaissance le régime des prix et des taxes.
Faire croire à tous qu’il y a une révolution de l’internet, c’est dissimuler la vraie révolution du web.
Je ne sais pas si vous connaissez tous le vocabulaire du web mais c’est un vocabulaire extrêmement intéressant. D’abord le mot web veut dire toile. Une toile ce n’est plus un réseau, c’est quelque chose de continu, c’est un morceau d’espace. Sur cette toile les gens positionnent des sites, un site est à la fois des points d’où l’on voit, des " point de vue " et des points que l’on peut voir des " paysages ". Ce sont des lieux dans l’espace. Dans des sites on fait des pages. Page cela vient du mot pagus et le mot pagus veut dire champ. On fait des champs et dans beaucoup de langues le mot page veut dire aussi champ. Dans le web, on visite, on est hébergé, on est localisé. Qui n’a jamais entendu dire sur le web, qu’on envoyait des messages ? Non, sur le web il y a des messageries, comme il y a des boites à lettre devant chez soi. Qui a vu un émetteur quelque part ? qui a vu un récepteur ? On dépose sa page, d’autres viennent la visiter et on la cultive. On fait de la culture sur le web. On fait de la culture comme on faisait et comme on a toujours fait de l’agriculture. C’est-à-dire qu’on vient exploiter un espace d’informations, un territoire d’informations pour y faire pousser sa connaissance. Dans cet espace tissé par beaucoup de gens et par beaucoup d’informations, les gens se rencontrent, font connaissance, produisent de la connaissance, exploitent de la connaissance. Le Web c’est l’espace de la culture contemporaine, comme on a fait et on continue à faire de l’agriculture sur l’espace territoire, on fait aujourd’hui de l’infoculture sur le web…
Ce que je peux vous montrer maintenant c’est une technologie très rudimentaire. Etant donné le caractère un peu décalé de la vision que je peux avoir de ces problèmes là, je vais essayer de vous montrer comment on peut voir un collectif, comment on peut voir un espace d’information. A mon avis, si l’on fait un constat : un des défauts du web à l’heure actuelle, c’est que l’on a bien le sentiment qu’il y a un espace gigantesque, mais que cet espace on ne le voit jamais vraiment. On n’en connaît que les bribes que l’on visite. On n’en voit pas la géographie, la webgraphie pour proposer un néologisme.
La tâche que je me propose de poursuivre depuis plus de six ans, c’est d’essayer de voir la géographie des collectifs humains et la géographie des espaces d’informations....
Les arbres de connaissances.
Je vais vous exposer trois " arbres de connaissances " (voir http://www.trivium.fr) pour vous faire comprendre tout de suite que la représentation va être différente selon les collectifs qu’elle montre. Au centre un collectif humain, 650 étudiants venus d’universités d’Europe, une italienne, une danoise, une suisse, une anglaise et une irlandaise, se sont mis ensemble pour essayer de définir des connaissances qu’ils pouvaient partager, qui pouvaient les différencier les uns des autres.
Cette forme assez fouillée tend à prouver que les cursus d’apprentissage dans ces cinq universités sont quand même fortement différenciés. D’autant plus, que lorsqu’on prend des étudiants d’une université particulière, la représentation devient généralement, extraordinairement, uniforme. Par exemple, vous avez un collectif de 650 étudiants, il doit être possible de fabriquer tous les sous-collectifs à l’intérieur de ce collectif.
Un collectif c’est quoi ? La définition immédiate me semble la mauvaise, elle consiste à dire que c’est un ensemble d’individualités. Et on retombe sur le point de départ, on doit traiter les problèmes individu par individu.
Personnellement, je pense qu’un collectif c’est potentiellement tous les collectifs que l’on peut faire avec. C’est-à-dire tous les groupes de 3 personnes, 4 personnes.... 649 personnes, même d’une personne. Une personne pensée comme un collectif, c’est-à-dire quelque chose de susceptible de se rattacher à d’autres personnes. A partir, de ce moment là, ce n’est pas une petite multiplicité de 650 personnes, cela devient une multiplicité d’environ 10200 collectifs possibles. Ce qui est une autre mesure, évidemment et qui fait comprendre la complexité que l’on a à appréhender un collectif. Ce logiciel peut potentiellement activer tous ces collectifs. On peut en choisir un, d’une université particulière : 146 étudiants à l’université de Sienne, et je vais demander d’établir l’arbre de connaissance de ces étudiants. Le système est entrain de calculer une représentation de ce collectif. Il tend à prouver que les étudiants de l’université de Sienne suivent des parcours qui sont relativement les mêmes, et qu’ils passent tous par les mêmes acquisitions de connaissance et c’est relativement peu diversifié. Les jeux des couleurs montrent, quand elles sont foncées, les endroits où il y a beaucoup d’étudiants qui possèdent les connaissances représentées avec une couleur foncée; la couleur verte montre les endroits où il y a très peu d’étudiants qui possèdent les connaissances représentées avec la couleur verte. Chaque étudiant peut se positionner dans cet espace là, par exemple, l’étudiant qui est rentré dans cet arbre avec son mot de passe peut immédiatement connaître sa position, c’est la trace blanche qui est à l’intérieur de la carte centrale, cet étudiant voit immédiatement la place qu’occupent toutes les connaissances qu’il sait fait reconnaître. Il peut prendre cette trace (ce que nous appelons son blason) et la mettre parmi toutes les traces des étudiants de Sienne, pour voir comment il se situe s’il venait faire ces études à l’université de Sienne. Imaginez ce que cela veut dire sur le plan scolaire. Dans le cas de l’orientation en fin de troisième, par exemple. Rapidement, on pourrait imaginer ce qu’un élève de 3ème B pourrait avoir comme positionnement au sein d’une troisième D ou d’une troisième E. Mais aussi on pourrait imaginer comment un enfant de CM2 se positionne dans les savoirs des classes de 6ème dans l’établissement dans lequel il va rentrer trois, quatre, cinq mois plus tard. Il pourra ainsi mieux comprendre pourquoi on le fait travailler sur telle ou telle notion. On peut comprendre, quand on est un adulte, dans quel groupe de formation on peut avoir intérêt à aller. Cela est aussi utile lorsque l’on a le souci de se valoriser en apportant des savoirs qu’on possède et que le groupe ne possède pas, ou de trouver dans le groupe des savoirs que l’on a pas et que le groupe maîtrise bien. Ce qui est clair c’est que le vocabulaire qui devient dominant, c’est la mutualisation. C’est le positionnement par rapport au collectif.
Vous pouvez imaginer grosso modo, que l’étudiant en question va pouvoir trouver toutes les renseignements sur les cours qui lui permettent d’acquérir de nouvelles connaissances. Il va pouvoir rentrer en rapport anonyme et sans les connaître (si nécessaire), avec les étudiants qui lui ressemblent et qui possèdent tel ou tel savoir que lui ne possède pas. Toute cette mutualisation va pouvoir être faite, parce que tout cela est géré à l’intérieur d’un réseau, c’est un serveur que les gens viennent consulter grâce à un logiciel.
Je vous propose un 2ème arbre de connaissance. Celui-ci n’est pas composé de personnes mais de groupes de recherche et de production à l’intérieur d’une très grosse entreprise de télécommunication. Il y a 10 000 personnes et il y a un certain nombre d’unités de productions. Chacune de ces unités de production a des compétences, des connaissances collectives, elles ont été formalisées, représentées et chaque unité de production a pu reconnaître qu’elles étaient les siennes. Ensemble, ils composent cette représentation.
Il est bien évident que chaque patron d’unité aura intérêt à faire évolué les compétences de son équipes vers les zones qui correspondent à une évolution possible pour lui et pour utile pour l’entreprise. Aisni l’intérêt particulier de l’équipe se conjuguera avec l’intérêt global de l’entreprise. On n’est donc pas assigné à évoluer de telle ou telle manière on a des indicateurs qui disent : si vous vous orientez de cette façon là, il est probable que vous aurez une plus grande chance de pérennité que si vous restez sur des zones où l’on n’a pas besoin de vous.
Et derrière tout cela, il y a de l’information. J’aimerais maintenant vous parler d’un arbre d’un autre type de collectif. C’est un collectif de gens qui partage des expériences et qui produisent des documents, ou qui utilisent des documents pour pouvoir réaliser et réussir leurs expériences ou leurs projets. Chaque expérience, chaque projet d’une personne ou d’un groupe sont décrits à l’aide des documents dont il a besoin. Et à partir de ce moment là, on découvre des documents, des fiches techniques sur un logiciel, des principes de construction des arbres de connaissances, des feuilles produites par un groupe d’école qui fait des arbres de connaissances.
Quelques exemples :
Ce n’est pas parce que quelque chose ne trouve pas son utilisateur que cela n’est pas bon. Cela veut dire que dans un espace collectif, dans un espace d’usage, il y a des choses qui sollicitent l’intérêt et des choses qui sollicitent moins l’intérêt. Ce que je vois c’est l’intérêt au sein du collectif.
L’on découvre que derrière les éléments de connaissances il peut y avoir énormément de documents. Que derrière les individus, les équipes, les projets, il peut encore y avoir énormément de documents. On se rend compte que le problème avec l’information c’est son caractère extraordinairement massif. Je crois que c’est ce qu’a remarqué tout utilisateur au bout de cinq minutes d’un moteur de recherche sur le web. Vous demandez un renseignement sur les pédagogies nouvelles et on vous déclare qu’il y a 4 500 pages qui parlent de ce problème là. Et vous vous dites : mon Dieu qu’est-ce que je vais en faire ! Alors vous raffinez un peu, si vous raffinez trop vous n’avez plus rien, et si vous raffinez un peu vous avez encore beaucoup. Donc, après s’être intéressé au collectif humain, pourquoi ne pas s’intéresser aux multiplicités d’information ? En bref, puis-je voir la physionomie d’un ensemble important d’informations? Est-ce que je pourrais en faire la carte ? est-ce que je pourrais mettre ensemble tous les documents qui se rapportent à un même sujet et en dresser la carte en quelques secondes ?... (voir http://www.umap.com )
Ainsi je vais découvrir dans une masse énorme un texte que je ne connaissais pas avant, que je ne l’ai jamais lu, et dont je sais grâce à cette carte qu’il va m’intéresser.
La force que vous donne un guide quand vous vous trouvez dans un pays que vous ne connaissez pas, c’est de vous dire: " vous êtes ici, ce qu’il y a autour de vous ce sont des montagnes, des lacs, des villes. Dans les montagnes, les villes, vous avez des hôtels, des églises, vous voulez visiter une église, sachez que dedans il y a un tableau de tel peintre etc. ".. Vous vous dites, je vais allé le voir.
Grâce à la carte et au guide, votre temps d’accès au territoire est très rapide, imaginez que vous débarquiez à la gare d’une ville, sans jamais en avoir entendu parler, ni jamais su ce qu’il y avait dedans, sans renseignements, le temps qu’il vous faudra pour aller aux choses qui vous intéressent, va être considérable.
C’est dans cette situation que l’on est, à l’heure actuelle, dans l’espace de l’information. On se rend compte qu’il y a une quantité considérable de choses pour faire pousser la connaissance mais curieusement, on se sait pas où sont les choses. Quand on les cherche, parce que l’on se doute de leur existence, on finit par les trouver, on finit par trouver ce que l’on cherche. Mais pour chercher quelque chose, il faut savoir quelque chose sur ce qu’on essaie de trouver.
Dans une logique de découverte, c’est complètement différent. Dans une logique de découverte, quelque chose vous apparaît dont vous ne soupçonniez pas l’existence. C’est l’avantage de la cartographie de vous faire découvrir les choses sans même que vous ayez eu l’idée de les chercher. Aujourd’hui nous vivons beaucoup dans des territoires immatériels, des territoires d'informations, des territoires humains, dans tous les cas ce sont des territoires de connaissances. Les outils que je vous ai présentés ce soir sont les embryons, " les vélos en bois ", de ce que seront les instruments de circulation, de repérage, d’exploitation, d’enrichissement, de valorisation des individus dans les multiplicités sans plus complexes qu’ils rencontreront demain. Car tous nous devrons vivre de plus en plus souvent en symbiose dans ces nouveaux environnement que sont les multiplicités humaines qu’on appellera des collectifs et ses multiplicités d’informations qu’on appelle des masses d’informations.