Les Arbres de Connaissances prétendent à un renouvellement des pratiques humaines aussi bien en situation de travail ou d’apprentissage, que dans la vie sociale ou éducative.
Ainsi en 1991: - Novembre, ils sont nés comme concept sociologique et mathématiques ;
-Fin 1991, ils sont formalisés.
Puis en 1992 : - Février, ils sont validés comme solution informatique ;
- Avril, les " arbres " sont proposés comme moteur d’un projet d’organisation des forces d’enseignement et de formation et à distance ; -Novembre, leurs principes sont exposés dans ce livre.
Enfin ils acquièrent une réalité technologique en 1993, sociale et industrielle en 1994, pédagogique et commerciale en 1995. Basés sur des principes nouveaux de traitement de l’information, de l’implication des acteurs et de l’exploitation des richesses humaines, les " arbres de connaissances " ont été l’objet de multiples interrogations quant à leurs fondements. Il est intéressant d’éclaircir un certain nombre des renversements qui sont à la base de leur émergence, aussi bien comme technique que comme pratique. Il faut aussi souligner que les " arbres " sont la marque de la volonté d’une entreprise : TriVium sans qui tout ce qui a été lu dans ce livre ne serait rien de plus qu’une énième utopie.
On ne redira jamais assez à quel point la médiatisation et la mise en spectacle dissimulent le travail nécessaire pour faire qu’une " idée " devienne un jour un fait social. Bien sûr, on pourra toujours accorder à l’idée le temps qu’il a fallu pour qu’adviennent les circonstances nécessaires à son émergence; mais il serait alors honnête de comptabiliser aussi le temps qui a été nécessaire pour créer les conditions nécessaires à l’existence du fait.
A propos des " arbres de connaissances ", il aura donc fallu quelques heures pour que l’idée jaillisse, quelques jours pour qu’elle se formalise, quelques semaines pour que deux personnes en fassent un système, quelques mois pour en écrire un livre, deux années de développement pour qu’un prototype fonctionne convenablement, une dizaine d’ " année-homme " pour qu’un produit existe, des centaines d’ " année-homme " pour que des militants, des consultants, des managers, des salariés, des enfants, des adultes fassent qu’existe en maints endroits cet objet bien définissable que l’on nomme des " arbres de connaissances ".
En reprenant le fil de ce livre, nous allons montrer quelles réalités ont fait émerger les femmes, les hommes et les enfants qui ont crus et croient encore que les pages que vous venez de lire donnent un sens à leurs espoirs. Tout au long, vous allez rencontrer de nombreuses références elles sont la meilleure preuve que les " arbres de connaissances " sont une œuvre collective, le point commun d’un mouvement social auquel de plus en plus de gens participent. Le fait nouveau dans la forme de ces références, c’est l’omniprésence des liens au Web. Ce phénomène n’est pas fortuit. Il devient consubstantiel d’un monde qui s’invente chaque jour par les efforts de presque tous (hormis ceux qui l’empêchent, nous aurons l’occasion d’en reparler). Vous pourrez donc trouver au delà de cette postface, si vous profitez d’une connexion au Web, le monde des " arbres de connaissances " présent dans ces multiples sites où se disent les paroles de ceux qui les utilisent. Au delà de cette richesse c’est le phénomène même du Web que l’on ne peut passez sous silence, puisqu’il y a six ans il n’existait pas encore.
Le succès du Web n’est pas plus dû à l’invention de l’Internet, que celui de la voiture ne l’est à l’existence des routes. L’origine de cette épidémie fulgurante est dans l’invention d’un mode de production de l’information qui donne la possibilité à tout individu d’être simultanément auteur et diffuseur d’une expression de ses connaissances. Cette expression n’est rien d‘autre que l’information qui le concerne, c’est-à-dire très exactement qui le cerne, qui l’entoure, qui l’implique. Dans le Web, l’être de chacun est le morceau d’espace qu’il engendre en produisant son pactole d’information. Devenu " cultivateur " de sa connaissance, chacun entretient ses pages (du latin pagus : petit morceau de champs comme nous le rappelle l’étymologie), dans un ensemble appelé site ( zone qui définit une situation dans l’espace, signifiant indifféremment un lieu que l’on voit ou un lieu d’où l’on voit). En recollant tous les sites produits selon le même mode de culture (html en l’occurrence), le Web apparaît à qui s’y promène, beaucoup plus comme un espace de partage que comme un réseau d’échange. On ne parle plus d’expédier, de recevoir, de message, d’émetteur, de récepteur (activités devenues mineures) mais d’exhiber, d’exposer, de déposer, de rendre public, de visiter, de découvrir, d’héberger, de localiser. Le paradigme de la communication et du réseau s’effacent devant l’omniprésence du partage et de l’espace. Ce qui importe c’est d’être repéré, de se faire voir du plus grand nombre, mais surtout de ceux qui seraient concernés par la même chose que soi ; ceux qui seraient du même " pays de connaissances ". En proposant à tous un outil de production quasiment gratuit, ce mode d’expression est devenu ce par quoi toute production particulière peut rentrer en rapport avec les autres. Cette production collective, fruit des intérêts de chacun, non pour la chose collective, mais pour son petit bout d’espace, croît par l’effet direct des millions d’internautes qui y travaillent ensemble. Chacun s’observe, se singularise, s’imite, s’associe selon des logiques implicites, éphémères et coopératives. Dans cette propagation accélérée du Web, tout point est une source de croissance, chaque site est aux bornes de l’horizon de quelques autres. Comme la sphère rêvée par Leibniz dont tous les points seraient des centres, le Web est cet espace qui se découvre en se dispersant, puisqu’en chaque point émerge un paysage nouveau. Espace relativiste analogue à celui que nous décrivent les versions les plus récentes du Big Bang, où tout point de l’espace continuerait à porter en lui cette singularité originelle qui, faute de mieux, s’accorde avec l’invention du monde. Sous ce point de vue, l’invention du Web n’est rien d’autre que celle de son mode de production. Ce phénomène est l’effet apparent de la transformation d’une multitude qui prend conscience que la richesse du monde c’est la mise en partage de ses connaissances… Les seuls à n’y rien comprendre restent ceux pour qui l’extériorité de la cause est encore envisageable, ceux pour qui il est encore possible de voir ce qui se passe et d’influer dessus sans prendre le risque de l’implication : esclaves du pouvoir s’il en est !
A considérer le Web comme la résultante de tout ce que font ceux qui ont entre les mains les mêmes outils de production et d’exploitation, on comprend mieux qu’il n’y a pas de richesses dans le Web, mais que le Web est la richesse. Ce qui importe n’est pas de trouver ici ou là une base de données, ou un type d’information, mais de rendre visible et de visiter grâce à ce continuum d’informations, la richesse même: les humains qui produisent.
Il y a cinq siècle l’invention du capital fut la mise en place d’un mode de production partagé de l’équivalent général des produits, ce fut nouveau puisque cette tâche incombait aux puissances temporelles qui frappaient monnaies locales en garantissant leur équivalence trésorière. En conséquence, l’équivalent général se libéra des trésors avec l’instauration des banques qui, accessoirement conservatrices de richesses matérielles, devinrent surtout des opérateurs d’équivalence en créant de la richesse immédiate en pariant sur le futur. Que va-t-il se passer maintenant que la connaissance trouve, avec la mise en relation immédiate de toute ses expressions, la possibilité d’une profusion sans fin, puisqu’aucune connaissance ne s’épuise pas d’être possédée ?
Cette vision irénique est bien évidemment combattue, non par ceux qui le connaissent le Web, mais par ceux qui n’y comprennent rien. Pour ceux-là, la propriété est incontestablement le fondement des richesses. Il leur est donc insupportable que quelque chose puisse fonctionner sans que s’exerce la volonté de quelques profiteurs. Ils préconisent donc de légiférer les pratiques, de rectifier les expressions, et de " prothéser " les usages, c’est à dire de rendre indispensables, compliqués et coûteux les instruments d’accès à la " richesse connaissance ". Si ces contraintes venaient à s’imposer, la propagation du Web se ralentirait, les sites au lieu d’inventer et de générer de nouveaux espaces, intensifieraient leur identité, apprendraient à se borner, à se protéger, à conserver, à stocker, à retenir …
Quand les lois, les règles et les prothèses auront pétrifié cet espace en le réduisant à un système de transport (autoroute de l’information !), l’homme, agent d’orientation pour les autres hommes dans ce réseau de coffres-forts, redeviendra une ressource de plus en plus instrumentée par une économie qui, au mieux, le valorisera en le faisant passer pour un expert.
Ainsi, ceux qui, grâce à l’expression unifiée de leurs intérêts particuliers, génèrent en ce moment une richesse inépuisable, dont chacun peut tirer bénéfice sans jamais priver personne, ceux-là ne doivent pas se retourner pour voir si le vieux monde les rattrape. Il faut que la connaissance se libère des chaînes d’une raison ratiocinante, qu’elle exprime librement la richesse des hommes, redevenus à eux-mêmes confraternels et reconnaissants.
En harmonie avec le Web, les " arbres de connaissances " tentent d’y intégrer ses technologies pour offrir aux habitants du Web un moyen de trouver leur place dans l’espace libre et sans entrave de cette nouvelle socialité. Avec les " arbres de connaissances " chacun pourra dresser et lire les cartes de cet espace que nous construisons collectivement, chacun pourra y apprécier sa place et en estimer la valeur. C’est d’ailleurs pourquoi ceux qui ont fait les " arbres de connaissances ", ont inventé de nouveaux outils qui font voir et rendent facilement exploitables les immenses territoires de l’information
Ayant donc introduit les éléments de cette nouvelle donne reprenons donc le fil à l’histoire de notre livre.
Sept ans ont passé, Amandine est devenue une belle jeune fille, aujourd’hui au lycée. Elle aurait pu utilisé les " arbres de connaissances " comme des milliers d’élèves utilisent ces " arbres " pour mieux reconnaître leur valeur en formalisant leurs connaissances et en les partageant avec celles de leurs camarades. Bien sûr au sein même de l’institution, nous avons trouvé quelques alliés qui ont facilité l’éclosion de quelques expériences. Mais pour l’instant le Ministère n’a pas favorisé la mise en place de ce nouveau dispositif - l’avenir nous dira si la volonté de mettre en avant les nouvelles technologies a pour conséquence une diffusion plus institutionnelle des " arbres de connaissances ". En effet des experts (sic ! !) travaillent à la certification (resic ! !) des " arbres " comme dispositif d’intérêt pédagogique. Avenir incertain !- . Par ailleurs le Centre National Enseignement à Distance, malgré de très nombreux contacts et beaucoup de temps et d’espoir investis, ne nous a jamais permis de lancer en son sein ou avec son soutien une quelconque expérimentation…
C’est donc dans les mouvements en marge de l’institution que les plus belles pratiques pédagogiques des " arbres de connaissances " ont été inventées. Seuls ceux qui ne connaissent pas l’histoire de cette institution, seront surpris. Les autres savent que l’école a toujours évolué grâce à sa périphérie géographique et sociale où l’on trouve auprès d’élèves souvent en grande difficulté de nombreux enseignants passionnés, généreux de leur temps et parfois même de leur deniers.
Pour favoriser l’épanouissement social et pédagogique des " arbres ", nous avions créé en juillet 1992 une association : l’ADAC (Association pour le Développement des Arbres de Connaissances). Incapable de trouver une identité claire face à la volonté d’entreprise de Trivium, cette association s’est auto-dissoute. Les très nombreuses expériences dont nous allons parler se sont presque toutes fédérées dans une nouvelle association : arbor & sens.
En mai 1993 nous rencontrions Bernard Collot au colloque de défense de l’école rurale dans la presqu’île de Crozon. Cette rencontre fut à l’origine de très nombreux projets pédagogiques dont le projet Acacia. Celui-ci fut mené dans plusieurs écoles de Rennes. Il part du constat que les difficultés d’intégration scolaire sont surtout vécu par les enfants issus de familles françaises de conditions modestes et de familles étrangères. Le projet s’est donné comme grands objectifs de réduire la distance culturelle entre les institutions et les enfants et leur famille, et de participer à la relance de dynamiques sociales positives par la valorisation et le partage des connaissances les plus diverses. Il s’agit de " développer des communautés de co-maîtres dans le connaître ". Les " arbres " servent de support à l’élaboration des profils de compétences scolaires et non scolaires afin de valoriser les enfants aux yeux de leurs camarades, des enseignants et des parents. Il s’agit aussi de stimuler la mutualisation des connaissances.
Dans l’esprit des pratiques coopératives ayant cours dans les classes concernées, les enfants accèdent au logiciel de façon autonome et souvent sans l’entremise de l’instituteur. Lorsqu’un enfant créé un nouveau brevet, il propose un descriptif et des modalités d’attribution. Dans les modalités d’attribution, l’enfant indique d’une part ce qu’il faut faire pour l’apprendre et d’autre part l’épreuve pour passer le brevet.
Lorsqu’un enfant veut se voir attribuer un nouveau brevet, il contacte le déposant afin qu’il lui fasse passer l’épreuve. Chaque nouveau brevet est présenté à la classe et soumis à la discussion du groupe sur sa définition et ses modalités de validation.
Au regard des ambitions de départ, on constate, après trois ans de pratique, un attrait important d’enfants habituellement en décalage avec l’école pour le système et une meilleure implication globale de leur part.
En 1997, Marie Danielle Pierrelé créé le concept des olympiades du savoir qui furent impulsée par l’Agence pour le développement des nouvelles technologies et de communication, elle-même créée par le district du Grand Amiens et le Conseil Général de la Somme.
C’est un dispositif mis en place dans le cadre de l’accompagnement scolaire pour favoriser l’insertion des élèves fragilisés par leur origine sociale. Les " Olympiades du savoir " s’appuient sur les ressources des nouvelles technologies pour valoriser les enfants et les aider à se construire.
En développant des liens avec les autres et en intégrant des savoirs multiples, les enfants concernés pourront élargir leurs appartenances sans renoncer à leur identité.
L’expérience continue malgré l’éloignement de son initiatrice, quant aux arbres ils permettent de reconnaître chacun, dans son individualité. Ils permettent aussi à tous de voir leurs limites et de se développer dans des directions qu'ils choisissent. Outil de lucidité, les " arbres de connaissances " nous semblent un atout essentiel pour verbaliser avec les enfants la construction de leur parcours propre dans le domaine des savoirs, pour leur offrir la possibilité d'entamer une démarche de projet et de construction de vie.
Depuis 1996 Yves Mariani et son groupe " équipes et projets " lancent des expériences pédagogiques dans de nombreux collèges. Laissons les nous dire succinctement ce qu’ils en font :
" Les " arbres de connaissances " nous proposent une démarche différente : plutôt que de partir de ce que les élèves ne savent pas, le premier moment fondateur de la démarche va consister à se donner les outils pour qu'ils découvrent et prennent conscience de ce qu'ils savent. On essaiera de leur faire repérer ainsi des situations de réussite, des situations où les savoirs et les savoir-faire acquis ont eu, à leurs yeux, une valeur opératoire. Plus les élèves sont en difficulté, pour ne pas dire en échec, plus il faut les aider à mobiliser des situations vécues en dehors du cadre scolaire. Ainsi cet élève de 3e réputé, lors du premier conseil de classe, incapable de s'organiser par l'ensemble des professeurs unanimes, était celui-là même qui, le samedi, sur le terrain de rugby, avait la responsabilité d'organiser l'entraînement et les tournois de 60 enfants de 8 à 10 ans. Il fallut bien du mérite à un enseignant pour accepter de prendre en compte, au rebours de tous ses collègues, cet état de fait pour aider l'élève à prendre conscience que ce qu'il savait faire n'était pas hors de portée "à l'intérieur" de l'école.
Au bilan depuis deux ans que nous travaillons dans des lieux divers la démarche des " "arbres de connaissances ", ce fut une constante de relever le profond changement des élèves par rapport à l'évaluation. Tout ce que les théoriciens de l'évaluation ont pu nous apprendre tant autour de l'évaluation formative que formatrice s'est trouvé illustré et corroboré. Contraints pour pouvoir valider un brevet d'être capable de penser la situation d'évaluation qui permettra au camarade souhaitant acquérir ce brevet de s'auto-évaluer, les élèves sont très vite amenés et de façon quasi naturelle à s'intéresser aux critères et aux indicateurs de réussite. Ce fut souvent l'occasion de tâtonnements et d'échanges assez remarquables entre élèves qui étonnèrent les enseignants. D'autre part, les brevets ont l'avantage de fabriquer des unités de savoirs précises et délimitées (on verra aussi que cela pourra être un inconvénient) ce qui amène l'élève à élaborer des stratégies - plus ou moins pertinentes si elles ne sont pas accompagnées par l'enseignant - pour acquérir de nouveaux savoirs. L'évaluation progressive de ces acquisitions devient alors un élément de soutien et d'émulation le plus souvent positif. "
Une fois de plus ces expériences ont révélé :
- un fort sentiment d'appartenance par la constitution d'un vrai groupe-classe ;
- un autre rapport culturel et linguistique aux savoirs ;
- une relation aux savoirs fondée sur une parité des rapports entre élèves ;
- une plus grande implication dans les activités proposées ;
- une sécurisation et une valorisation individuelle par la visualisation des savoirs individuels et collectifs ;
Jean Louis Chancerel, expert européen de la formation travaille depuis de nombreuses années dans le Canton de Vaud. Son témoignage sur les " arbres " nous semble particulièrement intéressant :
" Le canton de Vaud vit actuellement la mise en place d’une réforme (Ecole vaudoise en mutation) s’organisant autour de quatre axes principaux :mise en place d’une pédagogie active impliquant des projets d’équipes d’enseignants sur des projets d’établissement, différentiation entre les élèves (objectifs et modalités d’apprentissage ), évaluation formative complétant l’évaluation certificative et l’évaluation ayant pour finalité d’informer parents, enseignants, administration sur les niveaux d’instruction. Comme toute mise en place de ce type, il y a eu de la part des enseignants, un appel à des techniques ou à des approches leur permettant d’entrer dans ce processus de changement. Les " arbres " font partie de ces nouvelles approches et leurs principes sont adaptés à des situations diverses :
Il est intéressant de constater que les " arbres " participent à la transformation de la pédagogie en plaçant l’élève et ses processus d’apprentissage et de socialisation au centre du dispositif d’enseignement. C’est là une réalité concrètement vécu et non un slogan ou un vœux pieu.
Au-delà des problèmes d’enseignement ordinaires, certains établissements plus particuliers ont choisi d’utiliser les " arbres de connaissances " pour aborder certains de leurs problèmes. Ainsi à l’Institut de Rééducation et de Psychothérapie de la Turmelière sous l’impulsion du directeur Monsieur Ourbre et grâce aux efforts de Jean Pierre Liège l’établissement s’est lancé comme objectifs de :
- permettre aux enfants en difficulté de s’exprimer en dehors d’un contexte purement scolaire ;
- offrir aux nouveaux instituteurs un portrait de la classe au travers de leurs centres d’intérêt individuels et partagés.
L’introduction des " arbres de connaissances " a permis aux enfants de s’exprimer librement. Aucun d’entre eux n’a d’ailleurs été rebuté par l’outil malgré un peu de scepticisme et quelques a priori pour certains. Illustrons les résultats en commentant quelques blasons significatifs :
" Adrien " : un des plus sceptiques au départ, s’est finalement pris au jeu et s’est servi de l’ "arbre " pour exprimer son individualité, en construisant sa propre branche et en ne voulant surtout pas s’inspirer des brevets des autres. Pour les brevets de connaissance, les premières feuilles ont aussi poussé parallèlement au tronc (qui regroupe les brevets partagés).
" Renaud " : à l’opposé d’" Adrien ", a choisi les brevets qui étaient tous déjà présents dans la liste. Ce n’est qu’en abordant les brevets de connaissance qu’il s’est aperçu que ce qu’il préférait faire n’était pas présent dans l’arbre et qu’il fallait qu’il crée ses propres brevets.
" Pc mag " : sans doute le plus motivé. Il a d’ailleurs le blason le plus fourni. Le rythme des dépôts de brevets a cependant nettement ralenti quand il a fallu passer aux savoirs-faire. Malgré tout, il a adopté l’outil. C’est d’ailleurs le seul à avoir écrit sur la messagerie, malgré des difficultés évidentes en expression écrite.
À travers ce premier contact avec les " arbres de connaissances ", les enfants ont compris que c’est leur propre blason qu’ils construisent au sein d’un collectif. L’approche par les centres d’intérêt a d’ailleurs permis de présenter cet outil comme un moyen d’expression plus qu’un moyen d’évaluation, ce qui devrait faciliter l’introduction de connaissances scolaires. Dans les mois qui viennent une des tâches les plus importantes du groupe de pilotage concernera certainement la stratégie à adopter pour que les arbres de connaissances aident les enfants à construire leur projet individuel.
fidèles du Jardin des Savoirs s'accrochent aux branches."
Au marge de l’école une des expériences les plus marquantes des " arbres de connaissances " auprès d’ enfants fut Entre l'utopie des philosophes et la réalité de terrain, les " arbres de connaissances " s'enracinent dans les cités de banlieue afin de créer un réseau de partage mêlant enfants et adultes. Dans le quartier de La Fontaine à Bagneux, les des Savoirs a ouvert certainement celle menée à Bagneux.
" ses portes à Bagneux au mois d’octobre 1995.
Après une période de prise de contacts et de mise en route, l’activité a démarré en janvier 1996. Depuis, l’ "arbre de la Fontaine " a poussé...
En 1997, 190 enfants de 6 à 16 ans ont été accueillis. Ce nombre et la régularité de fréquentation pourraient, à eux seuls, faire parler de réussite.
Cependant, comme lors du premier bilan, il apparaît important de dépasser le regard sur ces seuls chiffres pour confronter les réalisations avec les objectifs de départ.
Il est apparu clairement que ce que donne à voir "l’arbre des connaissances" n’est autre que cette interaction entre moi, toi et les autres qui forme un tout cohérent. C’est une communauté forgée de connaissances partagées sur lesquelles il est possible de s’appuyer pour entrer en communication, et de connaissances spécifiques et complémentaires utiles à l’organisation et au développement de la communauté.
Grâce à des ateliers, progressivement conduits par les enfants eux-mêmes, cette démarche de communication s’est renforcée. L’enfant fait alors sien le message délivré par les adultes qui participent au projet: "ce que je fais aujourd’hui avec toi doit servir à l’ensemble, à toi, à moi, aux autres ".
La représentation dans l‘ "arbre des connaissances " est devenu le support de ce message et son image évolutive fait savoir que le "bien commun" peut grandir.
Au-delà de l’ouverture d’un local dans un secteur marginalisé du quartier, au-delà de l’accueil, de la considération et de l’affection portées à chaque enfant, au-delà même d’une relation éducative permettant de trouver ou de renforcer son identité... c’est un projet pour le futur qui est proposé aux enfants.
C’est bien cela qui est pratiqué avec l’enfant lorsqu’il trace son chemin de vie.
En faisant son " chemin de vie ", en exprimant alors son "déjà vécu ", les règles du jeu de la vie sont d’une certaine manière signifiées ; même si l’on n’en connaît pas l’échéance, tout le temps de la vie est un temps d’apprentissage : on apprend à être, à faire ou à ne pas faire, à choisir, à aimer ou à ne pas aimer... bref à vivre en société à la fois avec force et fragilité.
Comment s’étonner alors que l’association des "Jardins du savoir ", promeuvent d’autres projets de jardin dans d’autres banlieues. S’enrichissant mutuellement, tous ces projets accompagneront l’émergence nécessaire d’une nouvelle forme de lien social.
Dans tous ces domaines on perçoit que les grands principes des " arbres de connaissances " non pas varié. En mettant la reconnaissance comme principe fondateur de la socialité, les " Arbres " privilégient la notion de partage plutôt que la notion d’échange.
C’est probablement là le point extrême des ambitions des " arbres " : la possibilité d’identifier une économie de la connaissance d’un type radicalement nouveau. A donner au mot économie son sens étymologique, rien ne s'y oppose à ce que la connaissance soit la base d’une nouvelle économie . A le prendre au sens qu’il a eu durant ces deux derniers siècles, c’est une autre affaire. En effet, comme théorie de l’échange, la théorie économique n’est possible que parce que le moment où la propriété change de main a été clairement identifié. Or ce qui caractérise le partage, c’est l’absence de perte. On glose beaucoup sur cette qualité magique de la connaissance, du savoir ou de l’information, de se donner sans se perdre. A ce titre, l’approche d’une économie de la connaissance à partir des catégories de l’économie des produits semble une impasse…
A y regarder de plus prés et à le répéter, on se persuade facilement que seul les humains ont de la valeur dans une économie de la connaissance. S’en suivent deux hypothèses que l’histoire se chargera d’infirmer ou de confirmer. Soit l’humain, valeur ultime des sociétés, profitera de cette prospérité en inventant les formes et les instruments d’une maîtrise collective de son destin. Soit les hommes, seuls supports des richesses des entreprises, en deviendront les propriétés. Esclaves privilégiés des entreprises qui voudront les conserver, ils en deviendront à la fois la richesse principale mais aussi les prisonniers. Dans cette optique, il ne faudra pas que l’asservissement fasse perdre à ceux qui les possèdent leurs qualités d’innovateurs et leurs compétences rares. Les entreprises feront donc tout pour défendre le patrimoine qu’elles possèdent avec leurs salariés. Cette tendance est déjà fortement engagée, nous pouvons le voir dans la valorisation financière des entreprises de nouvelles technologies, mais aussi dans la multiplication considérable des prothèses technologiques des facultés de l’humain. Il est clair que ces prothèses, de la mémoire, du raisonnement, de la communication, auront un effet de libération considérable des facultés de créativité et d’invention pour ceux qui pourront en bénéficier. Par contre, les exclus qui seront tenus à l’écart seront encore plus nombreux. Dans cette perspective, les arbres cherchent à faire du fonctionnement collectif la condition de leur réussite, ce qui, pensons-nous, interdira de nombreuses formes de marginalisation dans l’entreprise. Il y a deux siècles, les espoirs que la naissance des techniques avait fait naître pour la libération de l’homme se sont effondrés devant l’appropriation par quelques uns de ces nouveaux moyens de production. Quelques privilégiés ont mieux vécus, les autres ont continué de souffrir. Sans croire que l’histoire se répétera, on est en droit d’être méfiant et de se demander à qui appartiendra ce potentiel considérable de production d’information et d’exhibition des richesses humaines qui apparaît aujourd’hui.
Des centaines voire des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont fait des " arbres de connaissances " ce qu’ils sont aujourd’hui. Ils l’ont fait de leur propre initiative, sans rien attendre d’un pouvoir qui promet monts et merveilles dès qu’il s’agit d’exclusion et d’innovation mais qui ne saurait être un sujet de déception pour tous ceux qui savent bien que la réalité ne peut attendre de lui rien d’autre que des ennuis supplémentaires.
Des puissants qui nous ont aidés (et il y en a eu quelques uns), seule l’humanité discrète nous a apporté des bienfaits dont ils nous ont demandés de ne point parler craignant que plus puissants qu’eux ne les désavouent. Par leur pouvoir, parfois considérable, ils ont toujours été empêchés de faire. Leur propre administration s’est élevée contre eux jugeant qu’ils faisaient mal de la forcer à vouloir faire le bien. On s’est vu accuser de totalitarisme par des bureaucrates qui en cinq minutes décidaient de budget d’un milliard pour faire durer la décomposition d’industries moribondes, et faisaient perdre des mois à des associations bénévoles pour leur refuser en fin de compte les quelques centaines de milliers de francs qui les auraient sortis de la misère, elles et les exclus dont elles s’occupaient. Il est toujours flatteur de se faire insulter par ces gens dont la suffisance n’a d’égal que la lâcheté et l’opportunisme. En effet et bien évidemment, maintenant que les faits sont là et que les " arbres " apportent une reconnaissance à ceux qui en ont si peu, ils se vantent d’en avoir été les instigateurs et les meilleurs soutiens.
Entre ceux qui prétendent savoir le bien des autres et ceux qui pensent qu’il doit être possible que chacun soit maître de trouver sa meilleure place au milieu des autres, le fossé ne peut être comblé. D’un côté une démocratie élective qui fait de chaque élu un individu à part, habilité à conduire les autres. De l’autre une démocratie participative incarnant dans ses décisions une expression générale aussi changeante et stable que le fleuve d’Héraclite qui change en restant le même. Aussi changeante et stable qu’un " arbre " : synthèse d’expressions particulières et différentiées, toujours renouvelables, évolutives, sensibles à l’état du monde. Où est le totalitarisme dont certains puissants ont accusé les " arbres de connaissances "? Chez ceux qui croient que leurs semblables font tous ensemble un indicible chaos à qui ils sont obliger de laisser la parole qu’une fois tous les cinq ans ou chez ceux qui pensent, malgré ce qu’on en dit, que les peuples changent moins facilement d’avis que les média qui parlent d’eux et qu’ils perçoivent ou inventent avec leur " intelligence collective " des nouveautés bien avant les politiques et les penseurs qui prétendent inventer le réel sous prétexte qu’ils sont les premiers à le recopier.
Ainsi l’Utopie des ADC trace depuis 6 ans un sillon de réalité dans un monde où tant de justes trouvent dans d’innombrables problèmes l’occasion d’innover, d’espérer, de vivre. Petit à petit les images flottantes d’idéaux partagés par beaucoup s’incarnent dans des réalités fragiles qui les aident à vivre. Que faudrait-il pour que chaque classe, chaque communauté, chaque groupe, chaque entreprise, trouve enfin la certitude que ce mode d’être ensemble sans exclusion s’établisse de manière stable ? " Mystère " a-t-on coutume de répondre. Et bien non ! Il n’y a aucun mystère, nous savons tous parfaitement ce qu’il faudrait ! Non pas spécialement de l’argent, du pouvoir ou de la publicité. Il faudrait justement que ces trois forces que l’on désigne comme étant celles qui font la réalité, cesse d’être ce qui empêche que le monde devienne ce que presque tout le monde voudrait qu’il soit. Un monde où le temps n’est pas perdu par ceux qui prétendent vous en faire gagner en accaparant vos projets pour leur petite gloire. Un monde où la bienveillance laisserait faire ce que beaucoup d’anonymes font spontanément, un monde où le pouvoir avide de signature cesserait de marquer sa présence en freinant toutes initiatives. Un monde décrit par ceux qui le font et non par ceux qui en profitent: discoureurs avides de voix qui dissertent à en perdre la voix, tristes plumitifs paraphraseurs d’une réalité heureuse.