“Il n’y aura aucune transformation possible du système éducatif sans agrandissement des espaces”

Edito du numéro 8 de la revue Marelle
consacré à l'espace (1995)
  • “Nous sommes 27, serrés dans un peu plus de 50 m2. Enlevées les chaises et les tables, chaque enfant dispose à peine de 1 mètre carré où il peut se mouvoir."

 

  • "6 classes côte à côte le long d’un immense couloir, 6 en-dessous. Lorsque l’on sort tous ensemble, et comment faire autrement à midi par exemple, chaque fois je crains la bousculade fatidique où un enfant sera piétiné."

 

  • "La rentrée, avec les files en rang dans la cour, les instits en tête ou en queue, attendant l’ordre qui met en branle les colonnes, me fait chaque fois penser à ces camps de concentrations qui font vomir quand on les regarde à la télé."

 

  • "Cour goudronnée. Nous y sommes 300 ! J’ai honte !"

 

  • "Et dans la classe, comment faire le moindre travail en groupe ? permettre le moindre coin ? Faire rentrer un peu de vie demande chaque fois des trésors d’ingéniosité et cela ne dépasse pas le bocal de poissons qui tient le moins de place. "

 

  • "Un atelier peinture ?! et même de la peinture, il ne faut pas y penser : ne pas renverser le moindre verre d’eau tiendrait de la gageure et courir remplir son verre à l’autre bout du couloir de la folie. On fait du feutre !"

 

  • "Et je ne parle pas de la cantine un véritable enfer."

 

Chaque jour, on survit. Les fiches sont le moindre mal. Parler “réformes pédagogiques” dans ces conditions, c’est de la provocation pure. Et tout le monde attend la délivrance du soir avec avec soulagement.”

 

“Il n’y aura aucune transformation possible du système éducatif sans agrandissement des espaces”.

 

Ce leit-motiv des CREPSC était affiché en grand dans une salle du colloque sur l’illettrisme organisé en 1989 à l’Ecole Normale des Batignoles.

Ce qui ne devrait que du simple bon sens ne crève toujours pas les yeux. Et il faut qu’une émission de télé montre, par contraste, un monde scolaire totalement différent pour qu’on commence à se poser des questions : l’école peut-elle être autre chose ? Pour qu’enfin des enseignants disent : on voudrait bien faire pareil, mais on ne peut pas. Et qu’enfin ils comprennent qu’ils ne peuvent pas PARCE QU’IL N’ONT PAS DE PLACE ! UNIQUEMENT (ou presque) UNE QUESTION D’ESPACE !

Et qu’est-ce qu’il faudra pour que parents, enseignants, DEMANDENT ENFIN DE LA PLACE ? Que violence, drogue, détresse ... n’épargnent plus personne ?

Peut-on continuer à se gargariser de mots tel citoyenneté quand les futurs citoyens sont “élevés” dans des cages à lapins ? C’est comme cela qu’on pense qu’ils vont être citoyens ?

Comment est-il possible que depuis des dizaines d’années, dans la majorité des écoles de France, des enseignants s’évertuent à faire travailler par groupe, conformément aux instructions ministérielles, des enfants qui n’ont même pas 1m2 chacun ? Imagine-t-on un seul chef d’entreprise faire travailler une trentaine d’employés, en plusieurs groupes, dans une salle de 50 m2 ? et ceci 8 heures par jour ?

Aucune des réformes proposées par l’Education Nationale n’a été possible parce que les enfants MANQUAIENT DE PLACE !

Et personne n’a jamais rien dit !

Et maintenant, on veut supprimer les dernières écoles (quelques classes uniques) qui l’ont encore cet espace, qui l’utilisent ... et qui pourraient même témoigner ! Folie.

Bernard COLLOT