Classe de Christian Drevet
Le contexte
Ecole de bourg à 7 classes. Je m’y occupe d’une classe de CE1 CE2 de 23 élèves (14 CE1 et 9 CE2). C’est ma première année dans cette école. Les CE2 affectés dans cette classe sont des élèves considérés comme faibles par leurs enseignants de l’année dernière, mis avec les CE1 pour leur permettre de « consolider leurs acquis ». Ce choix relève d’une tendance courante dans les écoles, celle de réduire au maximum l’hétérogénéité des groupes d’élèves. Au sein de l’école, les relations entre les enseignants sont plutôt bonnes (courtoises en tous cas), mais aucun travail collectif n’est engagé.
Le cadre dans lequel « l’événement » a surgi
Très tôt dans l’année, j’ai installé un « coin bricolage » avec du matériel de récupération rassemblé avec l’aide de plusieurs élèves et classé dans des boîtes à chaussures. Le coin comportait également un classeur rassemblant des photocopies des pages bricolages de J magazine. Très rapidement, ce coin a été investi pendant le temps d’ateliers de l’après-midi, puis plus tard au cours de la journée de classe quand les moments « d’activités personnelles » se sont multipliés (un temps le matin, un temps l’après-midi).
« L’événement »
Assez tôt dans l’année (octobre), Maxence apporte un livre présentant des bricolages pour le mettre à disposition des camarades. Après une brève présentation du livre en réunion, il est placé, à disposition, bien en évidence, sur la table réservée au bricolage. Il va rester là plusieurs mois sans que personne ne s’en préoccupe.
L’évolution du cadre
Le « coin bricolage » a été régulièrement et abondamment fréquenté. Après la phase de réalisation des constructions proposées dans les fiches extraites de J magazine, certains avaient compris qu’ils pouvaient inventer. J’avais demandé, pour les bricolages inventés, qu’une fiche soit réalisée avec liste du matériel nécessaire, texte descriptif et dessin (puis photographie, l’école ayant, par la suite, fait l’acquisition d’un appareil photo numérique). Ces fiches ont été conservées dans le classeur du « coin bricolage », rangées à la suite des fiches existantes. Certains élèves ont souhaité les publier dans le journal de la classe, journal à parution fréquente (chaque semaine ou quinzaine selon la matière à publier), diffusé auprès des autres classes de l’école et de 6 classes extérieures.
Jusqu’aux vacances de Noël deux moments quotidiens d’activités au choix ont fonctionné : le matin autour de diverses productions d’écrits, l’après-midi autour d’activités de sciences ou d’arts plastiques. Progressivement ces deux moments se sont mélangés : d’une part, certaines activités de « l’après-midi » amenaient à des productions d’écrits (les bricolages inventés comme nous l’avons dit mais aussi les expériences de sciences ou les premières recherches documentaires en histoire ou géographie), d’autre part il était intéressant d’augmenter le temps d’ouverture du « coin peinture » ou du « coin bricolage », la disposition des lieux limitant le nombre d’élèves susceptibles de se trouver simultanément dans ces deux coins.
Compte-tenu de cette évolution, un dispositif sensiblement différent sera proposé à partir du mois de janvier : deux moments quotidiens au cours desquels un large choix d’activités est proposé. Ce menu, le même pour ces deux moments, était susceptible d’être complété au fur et mesure des nouvelles activités que nous pourrions découvrir soit en pratiquant les activités du menu initial (prolongements d’activités pratiquées), soit à partir des propositions des enfants, ou bien encore à partir des activités que je faisais réaliser dans certains moments collectifs. Cette nouvelle organisation avait pour but de donner plus de temps aux enfants, permettant des productions plus complexes qui pourraient être réalisées dans un temps moins de morcelé.
« L’événement » : le retour
Au début de la semaine précédant les vacances de février, au cours d’un de ces moments « d’activités personnelles » Alain vient me voir, le livre de Maxence à la main. « Je voudrais bien faire le port ». La double page qu’il me montre présente la maquette d’un port avec tous ses éléments : quais, grue de déchargement, entrepôts, cargo, bateaux de pêche, vedettes de promenade, phare…. « Oui, je dis, mais pour toi tout seul, tu ne crois pas que c’est beaucoup de travail ? Et si tu le proposais à la réunion, vous pourriez faire une équipe et vous répartir le travail… » Alain est au CE1. Il n’est pas encore tout à fait sorti des premiers apprentissages de la lecture : il n’en est pas encore à la « lecture courante » (mais c’est en bonne voie). Il met en général beaucoup de temps pour choisir ses activités et en vient à bout en comptant beaucoup sur mon aide et mes relances.
Alain présente donc ce qui est train de devenir son projet. De nombreux volontaires se manifestent. Je propose : « Au prochain moment d’activités personnelles, tu fais le tour de la classe et tu inscris tous ceux qui veulent participer en leur demandant ce qu’ils souhaitent faire. C’est toi le « chef de chantier », tu organises le travail….»
La veille du départ en vacances, Alain affiche la liste des participants avec l’objet que chacun (seul ou avec un copain) souhaite réaliser. Une douzaine d’élèves sont inscrits dans le projet. Les vacances qui arrivent nous donneront le temps de rassembler le matériel manquant et de trouver les outils nécessaires. Alain a réalisé un travail d’organisation remarquable grâce notamment aux excellentes relations qu’il entretien avec ses camarades (il n’est quasiment jamais impliqué dans les conflits pourtant assez fréquents parmi les garçons de la classe). Bien que pas encore tout à fait lecteur, il a, seul et sans erreurs notables, écrit la liste des participants et des objets à réaliser. Cette première réussite dans la réalisation du projet lui aura permis d’augmenter son capital de confiance.
Une autre chaîne d’événements explique vraisemblablement le choix d’Alain. En début d’année, nous sommes allés sur la colline pour observer le paysage qui entoure notre village. Nous avons pris des notes, dessiné, schématisé. A la suite de cette sortie, j’ai proposé, parmi les activités mises au choix des enfants, l’étude de photographies de différentes sortes de paysages pour réutiliser ce que nous avions appris à faire sur le paysage qui nous entoure et explorer d’autres paysages : de campagne, de ville, de montagne, de mer…. Quand plusieurs travaux étaient réalisés une séance de présentation était organisée. Vers cette époque, Alain a choisi de travailler sur la photographie d’un port.
La réalisation
Dès le retour des vacances, les fabrications commencent. J’interviens en général pour des gestes « techniques » comme scier avec la scie à onglets ou placer (au début) les serre-joints sur les parties collées. Le coin bricolage est en effet insuffisamment équipé (en matériel adapté et en espace) pour que les enfants puissent réaliser eux-mêmes certains de ces gestes. Les premiers objets sont présentés au cours des réunions et des propositions d’améliorations sont faites comme par exemple de les peindre, ou d’électrifier le phare (on a aussi un coin « électricité » dans la classe). Grâce à ces propositions, les enfants placeront ainsi d’eux-mêmes un niveau d’exigence plus important pour les objets suivants.
Il faudra rapidement proposer de modifier les règles d’accès au coin bricolage. L’espace y étant réduit, il y a difficultés de cohabitation entre les participants au projet « port » et les enfants souhaitant faire des réalisations dans cet atelier pour leur propre compte. Priorité sera ainsi donnée au projet d’équipe. Cette priorité n’empêchera pas totalement la réalisation d’autres objets : les élèves inscrits dans le projet « port » ont par ailleurs d’autres activités en cours et n’occupent pas en permanence l’atelier bricolage (qui ne comporte d’ailleurs pas autant de places que de participants au projet).
Régulièrement les enfants ont des problèmes techniques de réalisations par rapport aux descriptifs du livre (matériel ou outil manquant..). Ma réponse est constante : « Invente un autre moyen ! » Quand ça coince vraiment (c'est-à-dire quand l’enfant n’a pas réussi à trouver lui-même une solution), je propose les miennes. Fréquemment, dans les moments où des réalisations sont en cours, Alain va se rendre compte de l’avancement des travaux, jouant ainsi parfaitement un rôle d’organisateur soucieux de l’aboutissement des réalisations.
Les premières réalisations sont bouclées et photographiées. Dans un souci de mémoire et de communication éventuelle ultérieure, je demande alors qu’ « une fiche technique » soit réalisée pour chacun des objets. Cette «fiche technique » doit comporter sur une page la photo de l’objet, la liste du matériel et le descriptif de sa réalisation. Les premières fiches, après présentation au groupe sont rangées dans un porte-vue spécial « port ». Les enfants ayant réalisé précédemment de telles fiches pour leurs bricolages inventés ont accepté volontiers (c’était dans les « habitudes » de la classe, dans sa « culture ») et la réalisation de la plupart des fiches n’ont pas posé de problèmes majeurs aux enfants.
Premier bilan et suites envisagées
Un premier bilan collectif est alors réalisé. Nous repérons ce qui « reste à faire » : construire le support de la maquette, « représenter » la mer, choisir la couleur pour peindre les quais, dessiner les silhouettes des maisons de l’arrière-plan. Les travaux restants sont répartis entre des enfants volontaires. Je me chargerai quant à moi de l’achat et de l’assemblage des morceaux de contreplaqué qui serviront de support. Les avis d’Alain, initiateur et organisateur du projet, comptent naturellement beaucoup dans tous les choix qui sont faits parmi les propositions des uns et des autres. Cette phase permet à de nouveaux enfants d’entrer dans le projet. Plusieurs autres se proposent également de fabriquer de nouveaux bateaux. Les modèles du livre étant épuisés, chacun va se lancer allègrement dans des inventions quelques peu débridées qui nous permettront d’obtenir des embarcations de toutes formes et tailles (la flottaison de certaines s’avèrerait sans doute très aléatoire, mais là n’était pas le but de l’opération !).
Nous arrivons maintenant aux vacances de printemps. Le « port » est monté et commence à être copieusement garni d’embarcations diverses. Quelqu’unes sont encore en cours de construction. Les dernières fiches sont en cours d’écriture. Nous réfléchissons maintenant à ce que nous ferons de notre maquette quand elle sera totalement terminée. Fin mai, une demi-journée « portes ouvertes » est prévue au niveau de l’école au cours de laquelle les parents seront accueillis. Cette opération fournira une première occasion de présenter l’aboutissement du projet. Il nous faudra également trouver des moyens de le présenter aux autres classes de l’école ainsi qu’aux classes avec lesquelles nous correspondons par le moyen de notre journal de classe, peut-être également aux classes du réseau Marelle sur lequel nous venons d’entrer… bref de quoi proposer, échanger autour des moyens à trouver et de l’organisation de ces différentes présentations.