Les apprentissages
On ne peut comprendre une explication que si on l'a décidé ...
Alain Sotto, psychopédagogue (contre le cours frontal, contre une école “traditionnelle” qui ne laisse pas aux enfants de place à la réflexion) : “on retient 5% de ce qu’on écoute ; 20% de ce qu’on lit ; 80% de ce qu’on fait ; 90% ce qu’on est capable d’expliquer avec ses propres mots”.
Le langage est ce qui permet d’acquérir des compétences. Grosso modo, le langage est un ensemble de connexions neuronales.
L’école du 1er et du 2ème type s’intéressent à développer des compétences.
Même si le fait de chercher à développer des compétences enrichit ces connexions – cela participe à la construction des langages – c’est bien moins efficace que ce que peut engendrer toutes les interactions dans un système vivant. C’est pour cette raison que l’école du 3ème type s’intéresse à mettre en place un système le plus vivant possible.
« On apprend qu’à partir de ce qu’on sait » André Giordan
Les travaux des neurobiologistes corroborent les pratiques des pédagogies actives depuis un siècle : le cerveau se construit et fonctionne par tâtonnement expérimental, une succession d’interactions entre l’environnement et lui. Le cerveau construit et ajuste ses circuits neuronaux jusqu’à ce qu’ils produisent une solution satisfaisante et il les réutilisera alors dans des situations semblables (cf Alain Berthoz « La simplexité »).
On sait maintenant que personne n’apprend à lire, à écrire, à mathématiser … de la même façon, ni au même rythme.
Les compétences sont une conséquence de la construction cognitive, psychologique et sociale de l’enfant. L’enfant se construit au sein d’un groupe par l’interaction permanente avec son environnement et dans l’interrelation constante avec les membres du groupe auquel il appartient. Ces interactions s’effectuent particulièrement dans les activités et projets enclenchés par les enfants eux-mêmes. En écrivant ce qu’il a lui-même pensé, en mathématisant à partir de ses représentations, et de manière plus générale, en s’activant comme auteur de sa recherche (en tâtonnant, en expérimentant, en vivant), il développe au mieux son réseau neuronal.
C’est au cours des activités que l’enseignant peut intervenir pour les apprentissages ; l’enfant accepte alors facilement ce qu’il met en place pour franchir les caps qu’il reconnaît et dont il a besoin. L’enseignant met donc en place des stratégies éducatives pour que les enfants ne fassent pas ce qu’ils veulent, mais qu’ils veuillent ce qu’ils font.
Le rôle de l’enseignant consiste donc à :
- Enrichir et modifier un environnement qui induit l’utilisation et l’apprentissage de l’écrit et des mathématiques en particulier.
- Accompagner les activités/projets de chacun et en proposer le cas échéant ; développer les apprentissages à partir des activités/projets initiés par les enfants,
- Observer l’enfant, son évolution dans ses travaux, et l’écouter, de manière à l’aider au mieux, à le pousser à aller plus loin, en incitant, en motivant, en orientant …,
- Permettre aux enfants de s’organiser dans leurs activités et entre eux en évaluant en permanence l’efficacité du fonctionnement de la classe et en le faisant évoluer.
Lorsque l’enfant choisit, décide, entreprend par lui-même, il mobilise plus facilement ses capacités et développe de la confiance en lui, ce qui procure une assurance face aux activités et donc, aux apprentissages.
Une notion est acquise uniquement lorsqu’elle peut être réinvestie dans une autre situation.
C’est toute la communauté éducative - enseignant, parents, commune - qui participe à ce que l'espace scolaire soit aménagé et conçu de façon à ce que les conditions d’apprentissage soient les meilleures.
Philippe Ruelen
L’enfant, source de ses apprentissages
Il commence à être admis que l’enfant est « auteur de ses apprentissages ».
C’est déjà une avancée qui modifie (et perturbe) la vieille conception de l’école et de ses enseignants « transmetteurs de savoirs ».
En elle-même la « transmission des savoirs » est une notion noble et vouloir transmettre aux enfants et adolescents les savoirs de l’humanité est enthousiasmant et généreux et est à l’origine de beaucoup de vocations. Elle s’appuie sur la didactique. Elle butte cependant sur deux écueils :
- Qu’est-ce qu’un savoir et quels savoirs sont impérativement à transmettre ? Evidemment, en premier, écrire et lire, on l’appelle même savoir fondamental. Mais transmettre suppose qu’il y a un objet qui va passer d’une main (ou d’une tête) à une autre. Or l’écrire-lire n’est pas un objet, ni un mode d’emploi. Le décliner sous la forme d’un savoir-faire n’est pas suffisant puisque ce n’est pas parce qu’on en connaîtra un mode d’emploi (exemple des méthodes syllabiques) que l’on pourra s’en servir (les illettrés ont tous appris à lire). Dès le premier apprentissage, nous ne pouvons déjà plus être dans la transmission.
Il va en être de même pour tous les savoirs qui ont été couchés dans des langues (langues écrites, mathématiques, scientifiques…). Ces savoirs ne servent à rien si on n’a pas les langages permettant de les interpréter, de se les représenter, de les utiliser. Eux aussi ne sont pas transmissibles. Il va en être de même pour tout ce que nous appelons « connaissances » et qui font l’objet de polémiques récurrentes quand il s’agit d’en faire le catalogue (programmes).
- Vous me direz pourtant que tous, vous avez eu des personnes qui vous ont transmis des connaissances. En réalité, ces connaissances vous les avez volontairement cherchées et les personnes qui vous les ont transmises, en général se servaient elles-mêmes de ces connaissances. C’est par un vigneron que j’ai appris à tailler, en taillant avec lui. Il m’a bien transmis son savoir. Mais dans l’école, on tente de transmettre des savoirs qui sont des objets extérieurs aux personnes qui les transmettent et dont on ne les voit même pas s’en servir.
Donc, sans hésitation et sans état d’âme, abandonnons la transmission des savoirs comme finalité de l’école !
Passons donc à « l’enfant auteur de ses apprentissages » qui s’appuie sur la pédagogie.
C’est le fondement de toutes les pédagogies actives en particulier de la pédagogie Freinet, comme des tentatives de rénovation de tel ou tel enseignement. De la transmission des savoirs, nous passons à la construction des savoirs. On s’attache beaucoup plus aux processus qu’à la connaissance elle même. Cela demande à mettre les enfants en situation de s’approprier tel ou tel savoir, puis de conduire le tâtonnement expérimental qui doit aboutir à l’appropriation du savoir ciblé. L’enfant sera bien auteur de ce qu’il sait. L’exemple très connu est celui de la « main à la pâte » bien qu’en fait de « trouvaille » d’un prix Nobel cela était pratiqué depuis plus d’un siècle dans les pédagogies actives et Freinet.
A l’école, il s’agira d’inciter au lieu de « forcer » l’enfant à rentrer alors dans des apprentissages auxquels il faudra qu’il y trouve du sens. On va quand même retrouver la difficulté ou l’art de motiver, donner envie. Il faudra instaurer des situations artificielles pour que des processus naturels puissent s’enclencher. Une partie des finalités de chaque action d'apprentissage reste extrinsèque, déterminée par un tiers (exemple des fichiers auto-correctifs).
D’autre part, l’entrée d’un enfant dans un processus d’apprentissage qu’on cible pour lui va dépendre de son état affectif du moment, de sa disponibilité, de ses envies, du fonctionnement coopératif du groupe, de la dynamique… Les collègues de la pédagogie Freinet connaissent bien dans leurs pratiques ces difficultés qui demandent beaucoup de... pédagogie.
Dans une école du 3ème type, nous franchissons un cap : « l’enfant est la source de ses apprentissages »
Le déclencheur de ses apprentissages, c’est l’enfant. L’enfant qui vit, l’enfant qui fait. Son affect, ses besoins, ses envies, son plaisir… Il est naturellement un puits sans fond de curiosité et des faire qu’elle provoque. Homo erectus, homo sapiens,… homme curieux (homo curiosus ?) homme apprenant (homo discipulo ?). Sauf cas pathologiques, tous les enfants apprennent à parler… sans qu’on leur dise qu’il faut qu’ils apprennent à parler, sans qu’on conduise cet apprentissage.
Les stimuli qui vont provoquer ses apprentissages sont infinis autant que sont infinis ces apprentissages. Qui n’a pas dit un jour « Mais où a-t-il appris ça ? ».
Il y a aussi le besoin d’appartenir, de participer. Parler pour appartenir et participer à la la vie de la famille, être dans la famille. On dit souvent que c’est un besoin d’imiter. Le perroquet imite. L’enfant apprend aussi pour faire partie des autres, être avec les autres. S’il est enfant élevé avec les loups, il n’imitera pas leurs hurlements, il apprendra à les comprendre et à les utiliser.
C’est en eux-mêmes qu’est la source de tous les apprentissages des enfants.
Bien ! Je n’invente pas la poudre et il n’y a rien de révolutionnaire dans l’affirmation que l’enfant est la source de ses apprentissages !
Dans une école du 3ème type nous partons simplement de cela. Elle est un autre espace du vivre donc du faire, faire parmi les autres, faire avec les autres. « Mais alors, « ils » vont faire n’importe quoi, apprendre n’importe quoi ? ». Je sais bien, c’est la hantise de tout le monde : qu’ils n’apprennent pas d’eux-mêmes ce qu’on pense nécessaire qu’ils « doivent » apprendre. Inquiétude légitime, mais manque de confiance en eux, manque de confiance en nous. Qu’apprennent les enfants des dernières tribus vivant dans la jungle ? Tout ce qui est nécessaire pour y survivre et y vivre, sans programme ! S’il fallait que nos enfants l’apprennent dans une école, ils n’y arriveraient pas et aucune méthode n’arriverait à le leur faire apprendre. La problématique d’une école du 3ème type est simple :
Un espace où cette formidable puissance d’apprentissage des enfants puisse s’exprimer sans se heurter aux « fais pas ci, fait pas ça ! » ou « fais ceci, fais cela ». Un espace un peu particulier dont l’environnement interne riche d’autres stimuli, les outils à disposition, inciteront à construire, à utiliser, à faire évoluer les principaux langages sociétaux dont nos sociétés ont besoin (oraux, écrits, mathématiques, scientifiques…) dans la dynamique et la synergie d’un collectif. Un espace où tous les projets nés de l’affect, du vivre de l’enfant pourront se réaliser. Peu importe que ces projets soient pédagogiquement incorrects.
Ce doit être aussi un espace de confiance : il faut que notre enfant-source puisse oser, oser se lancer dans ce qui le pousse, oser exprimer ses envies, savoir qu’il trouvera de l’aide donc avoir confiance aux autres et que les autres aient confiance en lui.
Bien sûr, dans cette école, exit les programmes, évaluations, horaires… inutiles ! C’est… simplexe !
Bernard Collot
L'objectif ne peut se résumer à faire travailler des compétences
L'école du 3ème type n'a pas de méthode, car il n'y a pas de méthode. L'école du futur a besoin de professionnels qui soient sûrs de l'incertitude et qui s'adaptent aux systèmes. Ces professionnels doivent oeuvrer pour rendre ces systèmes ouverts et évolutifs de manière à ce que chaque enfant puisse construire au mieux ses langages.
Actuellement, nous savons et nous constatons tous les jours dans nos écoles que l'enfant ne peut développer la compétence ou acquérir la connaissance transmise si son outil neuro-cognitif ne le permet pas. Nous savons aussi que cela peut générer des effets négatifs voire même désastreux - dégradation de l'estime de soi, perte de la motivation etc - et créer de l'échec scolaire.
L'objectif n'est donc pas de faire travailler les compétences les unes après les autres. Il est de travailler en amont : permettre la construction des langages. Le langage est un outil neuro-cognitif (des circuits neuronaux) qui permet d'interpréter des informations et en faire des représentations. Suivant les informations, nous parlons du langage écrit, du langage mathématique ou d'un autre langage. La nage est un langage puisqu'elle nécessite que des circuits neuronaux interprètent la nouvelle pesanteur, un nouvel équilibre et d'autres informations pour évoluer dans l'eau. Lorsque l'outil neuro-cognitif est construit, les connaissances s'acquerront et les compétences se développeront facilement et rapidement.
Ce n'est pas en apprenant les gestes sur un tabouret que l'enfant construira son langage de la nage. Nous ne savons pas précisément comment le langage se construit, mais nous ne devons pas l'empêcher. Nous devons le permettre. Pour revenir à l'exemple de la nage, il est nécessaire que les circuits neuronaux de l'enfant puissent appréhender les informations, et par conséquent se trouver dans l'eau et, de préférence, dans le grand bain. C'est en écrivant et en lisant qu'il construira son langage écrit, et en créant des mondes mathématiques qu'il construira son langage mathématique.
La nage est un langage, la brasse et le crowl sont des langues ! L'alphabet, les mots, l'orthographe que nous utilisons constituent une langue de l'écrit. Les mathématiques que nous connaissons sont également une langue. Le langage mathématique est l'outil neuro-cognitif qui permet d'interpréter des informations abstraites pour se faire des représentations de mondes mathématiques. Sans langage, on ne peut intégrer une langue. Il y a cependant interaction entre les deux puisque notre environnement est constitué en grande partie des langues et de ce qu'elles ont produit. L'environnement des langues provoque aussi la construction des langages.
Pour construire et intégrer des langues, il est nécessaire d'être dans l'environnement.
Langages et compétences
Un langage est un outil neuro-cognitif visant le traitement de l’information, permettant la communication et s’en enrichissant. Les langages sont multiples et se traduisent par des connexions neuronales de plus en plus complexes au fur et à mesure qu’ils se développent et se diversifient. Les langages ne peuvent être définis comme objets d’études comme peuvent l’être des connaissances.
La construction cérébrale est provoquée par l’interaction permanente de l’individu avec son environnement physique et humain. Dans cette interaction, l’individu développe les connexions neuronales qui vont lui permettre de saisir, d’interpréter de nouvelles informations et de les utiliser pour s’adapter et évoluer dans ce nouvel espace.
L’environnement dans lequel se trouve l’enfant et à partir duquel s’effectuent les interactions (et les stimuli) qui se traduiront par des connexions neuronales, est donc essentiel.
L’accès aux connaissances, aux codes sociaux (le français correct, la numération décimale…), les compétences sont finalement les performances observables rendues possible par le niveau de langage. Les compétences ne deviennent possible qu’au fur et à mesure de la construction cérébrale.
Ces performances ne constituent pas des buts en elles-mêmes mais des repères sur l’état des langages.
L’acte d’apprendre est donc entendu comme une modification de la personne entraînée par la circulation de l’information au moment de sa réception, de sa transformation, ou de son émission. Apprendre est donc dépendant des langages parce qu’ils donnent lieu à l’enrichissement de la structure neurobiologique par l’intermédiaire de constructions de connexions neuronales. Pour l’apprentissage de certains langages, notamment ceux relatifs aux exigences scolaires, il semble nécessaire que les apprenants puissent disposer d’une structure cognitive initiale permettant la focalisation et le traitement de ces nouvelles informations... La libre activité de l’enfant est au service de cette construction structurelle initiale sans laquelle le développement de langages plus culturels et codifiés se voit entravé voire impossible. L’apprentissage concerne seulement les langages et non les compétences ou les connaissances qui ne sont que des perceptions didactiques et parcellaires des constructions cognitives.
La construction des langages en tant que finalité technique de l’école libère l’efficacité pédagogique. Celle-ci n’a plus à se focaliser sur des performances (les « compétences ») à atteindre collectivement à un moment donné mais sur l’évolution de chaque enfant.
La finalité de l’acte éducatif se porte alors sur le sujet et non plus sur des objets à transmettre à un sujet sensé les recevoir.
Langages et langues
Chercher à construire ou à développer un langage n'a pas pour objectif d'apprendre une langue.
Quand on le considère comme un langage, savoir NAGER, c'est pouvoir s'agiter/s'amuser/se déplacer dans de l'eau là où on n'a pas pied, sans couler, ce n'est pas savoir faire la brasse ou le crowl qui sont des langues de la nage. Savoir NAGER permet bien entendu d'apprendre une langue plus facilement que lorsque le langage n'est pas construit. Mais on peut très bien savoir nager sans chercher à apprendre tel ou telle langue (type de nage ici). Il est bien plus important d'avoir construit le langage (savoir nager au sens décrit ci-dessus) que d'avoir chercher à acquérir une langue (savoir faire la brasse ou le crowl).
Il est plus facile de percevoir le langage NAGE que le langage MATHÉMATISER car la définition précédente est concrète. Les mathématiques sont un domaine abstrait et, dans nos représentations, le terme MATHÉMATIQUE est très associé à notre langue mathématique (quantité, égalité, comparaison ...)
Pour se représenter le langage MATHÉMATIQUE, il est difficile de trouver des exemples parlant qui évitent la confusion entre LANGUE et LANGAGE qui n'est pas qu'une question de vocabulaire (les patates remplaçant les millions par exemple, ou truc muche pour signifier les arêtes d'un cube). Un seul me vient en tête. Anna en maternelle venu me montrer son dessin : "Lui, il aime lui, mais lui n'aime pas lui." Sur la feuille, il n'y avait que des sortes de gribouillis bien distincts qui étaient en fait des symboles car, en y regardant de plus près, on pouvait voir des gribouillis semblables. Sans ses explications, je n'aurai rien compris évidemment. Mais, avec ses explications, j'ai pu entrer dans sa langue et même lui faire corriger un lien entre la représentation de deux personnages puisqu'il correspondait au fait que l'un aimait l'autre alors qu'elle me disait qu'il ne l'aimait plus ! Elle avait sans doute changé d'avis entre le moment de la réalisation de son dessin (création mathématique en fait !) et le moment où elle est venue me le présenter. Elle a alors barré le symbole "aime" pour dire "n'aime pas". On peut penser qu'elle commençait à construire le concept CONTRAIRE et qu'elle se l'appropriera dès lors qu'elle utilisera un même symbole plusieurs fois pour le représenter. Ce ne sera d'ailleurs peut-être pas le même symbole qu'elle aura utilisé dans ce dessin, montrant ainsi au passage que l'apprentissage d'une langue est bel et bien secondaire.
C'est plus facile de se représenter ce que sont les langages lorsqu'on on ne prend pas des éléments de notre langue voire même des concepts identiques. Dans l'exemple ci-dessus, on est sur un concept bien connu mais pas dans le champ mathématique ! "AIMER" La représentation symbolique du lien entre deux personnes signifiant "AIME" est mathématique.
Auriez-vous d'autres exemples similaires ?
Lorsque tel ou tel langage est bien construit, l'apprentissage d'une langue ne pose aucun problème et ne requiert que très peu de temps pour l'acquérir. C'est pour cette raison, qu'au final, on se soucie peu des langues. Si c'est au collège qu'ils apprennent ce que veulent dire "conjuguer" ou un COD, est-ce si gênant que ça dès lors que le langage est suffisamment construit pour acquérir très rapidement cette connaissance ? En disant cela, je ne cherche pas à écarter l'apprentissage des langues à l'école primaire mais à faire prendre conscience qu'on n'a pas besoin de rechercher l'exhaustivité des compétences associées à ces langues.
Exemples :
Lorsqu'on sait programmer (langage), l'apprentissage du C++ ou du PHP ou du BASIC ou du PYTHON ou ... qui sont des langues ne posent pas de problème. En revanche, quand on s'évertue à apprendre une langue sans avoir construit le langage, on galère grave et pire on risque de construire une mauvaise relation avec le domaine, ce qui va nous freiner à construire plus tard le langage. Or, l'école a été malheureusement construite pour faire apprendre des langues, ce qui permet uniquement du coup de trier (mais n'est-ce pas le but ?) en fonction de leur niveau de développement des langages associés, effectué ailleurs qu'à l'école !
Lorsqu'on sait écrire (langage), l'apprentissage de sa grammaire devient plus facile, tout comme l'apprentissage d'une technique opératoire lorsqu'on sait manipuler des nombres.
Même si c'est difficile de se représenter certains langages ou d'expliquer, on sent bien tous qu'il y a quelque chose qui vient en amont, quelque chose qui permet, qui facilite l'apprentissage. L'exemple qui m'en a fait prendre conscience, c'est lorsque j'expliquais l'accord du participe passé à un enfant. Pourquoi à lui et pas à un autre ? Pourquoi à ce moment là ?
- Parce que je pensais/savais que cet enfant allait l'assimiler directement alors que cela aurait été long et surtout périlleux pour un autre avec un risque de blocage ou plus couramment de créer un échec en contribuant au passage pour certains le sentiment d'être nul (pour reprendre les termes de notre triste société). C'est pour cette raison notamment qu'il est important d'avoir les enfants plusieurs années de suite.
- Parce qu'il avait construit suffisamment son langage écrit pour intégrer cette connaissance
Chercher à construire ou à développer est langage, c'est chercher à accroître un réseau de circuit neuronaux, à maturer, et pas à apprendre une langue.
Philippe, le 5 mars 2022
André GIORDAN : Apprentissage - Complexité
Conférence d’André GIORDAN, congrès ICEM, Nice 2005
Directeur du laboratoire de didactique et épistémologie des sciences de Genève
Ancien instituteur Freinet et professeur de collège
Notes prises par S.Connac
L’école génère souvent de l’échec et de l’ennui avec une diminution du désir d’apprendre. « Pas de cours qui ne soit dicté par la motivation. » (Freinet)
Aujourd’hui que peut-on dire sur apprendre ?
Beaucoup d’idées fausses : apprendre = accumulation de savoirs.
Il existe plusieurs conceptions :
- Première approche : l’apprendre frontal avec une transmission frontale et linéaire des savoirs. C’est une simple mécanique de réception et d’enregistrement. Le cerveau de l’apprenant est vierge et toujours disponible. Il faut que la personne qui parle et celles qui écoutent se posent les mêmes questions. Il faut aussi qu’ils aient le même cadre de référence (même mots, même évocations,…) Il faut raisonner de la même façon. Il faut produire du sens de la même façon. Très souvent il y a différentes façons de prendre le monde.
- Deuxième approche : le modèle behavioriste, à partir de fiches qui conditionnent par l’intermédiaire de comportements attendus. C’est une bonne méthode pour l’apprentissage de gestes et techniques. Le plus gros problème qu’on va trouver, c’est celui de la motivation.
- Troisième approche : le constructiviste des psychologues : c’est l’enfant qui va construire son savoir à partir de lui-même (conflit cognitif, tâtonnement expérimental, …) C’est intéressant pour construire du savoir mais c’est une pédagogie qui a montré des limites. Le problème c’est que très souvent une idée fausse qu’un enfant très jeune peut avoir est conservée malgré des pratiques pédagogiques de type constructiviste. Qu’est- ce qui a fait que l’ancrage est si fort ?
Quand apprend-on ? On le fait à partir de ce qu’on sait. Très souvent, on n’arrive pas à faire évoluer les représentations ce qui interdit de lire le monde. On interprète ce que l’on voit à travers ce que l’on a envie de voir. On peut même voir des choses qui n’existent pas. Avec les pédagogies actives, l’enfant vient en classe avec ses questions et ses façons de raisonner. Avec nos méthodologies, on va l’amener à mobiliser des savoirs mais malheureusement, il revient souvent à ses savoirs initiaux.
Apprendre ne passe pas par des recettes. Apprendre requiert une dynamique, l’élève est auteur de son propre apprentissage. Seul, il peut apprendre mais il n’apprend pas tout seul dans son coin. Il peut le faire parfois mais pas systématiquement. On n’apprend pas dans le préceptorat mais dans environnement collectif dans lequel l’équipe pédagogique a sa place tout autant que les centres de ressources. L’élève apprend à partir de ce qu’il est et ce qu’il sait déjà. Il convient d’avoir des outils, par exemple connaître les conceptions des enfants, les obstacles des apprenants.
Apprendre est un processus paradoxal voire conflictuel pour l’apprenant. Il apprend souvent contre ses conceptions. C’est parce qu’on dépasse une certaine cohérence qu’on arrive à apprendre. L’objectif est de permettre à l’élève de transforme son système de penser. Il s’agit de faire avec pour aller contre.
J’apprend si …
- je prends appui sur mes conceptions
- je me lâche
- je suis concerné, interpellé, questionné
- j’y trouve un plus (intérêt, plaisir, sens, …)
- j’ai confiance (moi, situation, médiateur)
- je me confronte (autres, réalité, informations, au-delà de la mise en commun où l’on ne se comprend pas)
- je fais des liens
- je trouve des aides à penser (symboles, schémas, métaphores, modèles)
- j’ancre les données
- je mobilise mon savoir
- je prends conscience du savoir (intérêt, structure, processus, … le savoir sur le savoir, qu’est-ce qu’un savoir scientifique ? …)
Dès que l’un de ces éléments manque dans sa classe, généralement, l’élève n’apprend pas. De plus, ces éléments doivent être en système et doivent faire l’objet d’une régulation. Par exemple, pour que l’élève se lâche, il faut le perturber mais pas trop parce que sinon il part. Enfin, il peut arriver que tout ces éléments soient réunis et que l’acte d’apprendre reste impossible.
L'enfant au centre ?!
Le fait de mettre l'enfant au centre est préconisé par nos instructions et tenté par beaucoup d'instits.
Mais la Pédagogie Freinet fait tout autre chose. Elle centre les apprentissages sur l'enfant.
Pour beaucoup, je joue sur les mots. Pourtant je persiste et signe :
- dans le premier cas, on déplace l'enfant, on le met au centre et il peut ainsi apprendre mieux, c'est évidemment un progrès par rapport à l'époque où les mômes étaient autour et tentaient, pour les plus proches, de s'approprier quelque part de savoir, tant pis pour les plus éloignés.
- dans le deuxième cas, l'enfant est où il est et c'est cet endroit qui devient le centre de ses conquêtes : à nous d'organiser le dispositif pour que, chacun ayant un "centre" différent, construise petit à petit sa "culture de proximité" qui finira, c'est notre but, par entrer en résonnance/raisonnance puis par rejoindre celle des copains, sur la route de l'universel.
Philippe Bertrand
Les enfants ne sont pas des rois; on ne leur devrait pas dans l'absolu dévouement et passion; et pourquoi donc ? Ils n'ont pas vocation à être plus un centre qu'une périphérie. Par contre ils ont vocation à devenir "sujets" de leurs apprentissages, à apprendre à penser par eux mêmes, à devenir auteurs de leur vie, acteurs de leur cité; et ça c'est une évolution à obtenir. Alors, il faut leur rendre l'objectif de l'éducation et non pas les mettre aux services de ces objectifs (est-ce cela faire d'eux des centres?)
Laurent Ott
Apprendre, c'est naturel
Jean Pierre Lepri, 2010, Inspecteur, 13'