Pour trouver l’origine de la forme institutionnelle de l’école d’aujourd’hui, il faut remonter au XVIIème siècle et à la querelle qui opposait la méthode mutuelle à la méthode simultanée sous la Restauration.
La méthode mutuelle (Joseph Hamel, L'enseignement mutuel, 1818) est importée d'outre-manche et portée par des libéraux protestants : ceux qui savent enseignent à d'autres, qui à leur tour enseignent à d'autres et ainsi de suite dans des groupes de plus en plus petits. Un seul maître est nécessaire pour faire fonctionner une école dont la capacité d'accueil n'est limitée que par l'espace lié à l'architecture du batiment (jusqu'à plus de 800 élèves).
La méthode simultanée est défendue par des conservateurs catholiques soucieux de respecter l'enseignement de Jean Baptiste de La Salle, ecclésiastique français. Les maîtres enseignent à des apprenants qui restent apprenants, 1 maître par classe.
Malgré l'efficacité et la popularité de la méthode mutuelle, François Guizot, ministre de l'instruction publique, choisit la méthode simultanée dans la loi de 1833 qui fera doubler le nombre d'écoles primaires. Trop subversive et efficace, la méthode mutuelle permettait à des ouvriers de devenir actifs dans les mouvements contestataires et il était inconvenant que chacun puisse devenir maître à son tour.
Ce choix garantissait donc une finalité jugée essentielle à cette époque :
"Éduquer les enfants, et pas seulement les instruire, en transmettant des valeurs morales portées en acte par la présence continue d'un maître."
On peut dire que la finalité excluait le multiâge.
50 ans plus tard Jules Ferry assoit l’école publique telle elle est encore, il reprend le même modèle de Jean Baptiste de La Salle modifiant légèrement la finalité de sorte à contrecarrer l’influence de l’Église en ajoutant la valeur de la laïcité.
Lien vers un topo imagé.
Nous, praticiens-chercheurs, nous rendons compte sur le terrain, à l'instar de ce qui avait déjà été constaté dans le passé et comme rappelé dans le top ci-dessus, que le système éducatif serait beaucoup plus efficace avec l'autre méthode.
Nous sommes nombreux à vouloir et à demander une autre finalité du système éducatif qui légitimerait le multi-âge :
"Contribuer à la construction des enfants en adultes autonomes et épanouis ayant pu développer toutes leurs potentialités et aptes à s’emparer de leur vie dans la cité et dans la société."
On devrait plutôt retourner la question : Pourquoi dans la plupart des écoles françaises la répartition des enfants est-elle par classe d’âge ?
Le multi-âge, à l’école, est le fait d’avoir des enfants de plusieurs âges différents dans la même classe (au moins trois). A contrario, le mono-âge, correspond à des classes d’un seul âge. Ces dernières sont la norme dans l’école classique. Mais il n’y a bien qu’à l’école que ce mono-âge existe. Que ce soit dans la famille, au boulot, en week-end avec des amis, en vacances, le multi-âge est omniprésent. Comment peut-on préparer les enfants à la vie qui est nécessairement multi-âge et même multi-générationnelle si ce n’est en les plaçant dans un milieu multi-âge ? Cela semble tomber sous le sens.
Nos représentations de l’école sont souvent faites à travers le prisme de nos croyances et de notre vécu. Mais si on essaye de mettre de côté ces filtres et de faire preuve de bon sens, quels seraient nos choix pour créer un lieu censé faire grandir nos enfants et les préparer au monde de demain ? De notre avis, d’un point de vue de l’âge, nous y voyons une classe hétérogène tant la richesse des interactions est porteuse de développement et d’apprentissages.
Si vous avez plusieurs enfants, si vous avez grandi dans une famille avec des frères et soeurs ou si vous êtes partis en vacances avec cousins/cousines ou amis d’âges différents, vous avez sans doute pu constater la richesse relationnelle qu’apporte le multi-âge.
Dans une classe d’âge homogène où le travail est simultané et identique pour tous, les élèves sont nécessairement en compétition. Cette pression de la performance est encouragée par les appréciations de l’enseignant, la comparaison du travail effectué, la notation, la moyenne trimestrielle ou encore le classement. Dans un milieu hétérogène, chacun évolue à son niveau et progresse à son rythme. L'entraide est instaurée, chacun étant reconnu et sollicité pour ses facultés particulières. La concurrence d’un groupe homogène est éliminée, laissant la place au partage de la joie des réussites des autres.
Dans un milieu multi-âge, chacun bénéficie des expériences déjà acquises par d’autres et de leurs regards différents. On ne peut pas forcément dire “les grands apprennent aux petits” mais “les grands partagent leurs expériences avec les petits”. Et grâce à la magie de la spontanéité et de l’innocence des plus jeunes, le multi-âge est aussi “les petits provoquent l’approfondissement de l’apprentissage des grands et peuvent les amener vers de nouvelles explorations inattendues”. Car les anciens, perclus dans leurs habitudes et leurs expertises, peuvent avoir perdu l’audace de la création caractéristique des plus jeunes.
Une classe multi-âge permet que s’instaure, avec le temps, une sécurité physique et affective dont chacun est co-responsable. Les enfants s’encouragent mutuellement, à travers leurs gestes, leur attention et leurs paroles. Les uns s’enthousiasment des activités et des productions des autres, leur apportant ainsi validation et reconnaissance de manière plus naturelle que pourrait le faire l’adulte, qui dissimule parfois mal ses attentes.
Les plus jeunes voient les plus grands, et donc le chemin à accomplir pour grandir. Les grands resteront toujours des grands aux yeux des petits ce qui leur confère une posture responsable et évite des attitudes immatures constatées fréquemment dans les classes mono-âge.
Une classe multi-âge, c’est un environnement serein où les grands sont responsables, où la fraîcheur des petits vient relancer la créativité des anciens et où chacun est reconnu pour ce qu’il est et ce qu’il fait, favorisant ainsi le mentorat et l’autonomie du groupe.
Références : S. Jouan, université de Montpellier - La classe multiage d'hier à aujourd'hui
Si des études étaient menées dans les villes, elles ne feraient que renforcer les études suivantes.
C'est à partir de cette rentrée, qu'à la surprise cette fois des autorités, un nombre surprenant d'élus, de parents, et d'enseignants ont résisté. Jusqu'à aller dans certain cas comme St-Martial d'Albarède (Périgord) à maintenir une classe sauvage pendant plusieurs mois (par les parents et un enseignant à la retraite).
Par un étonnant réflexe et le téléphone arabo-rural, ces divers points de résistances isolés se contactaient. Simultanément une poignée d'enseignants de CU qui étaient reliés quotidiennement par la télématique (minitel) s'organisaient eux aussi et créaient l'ADPER (Association pour la défense de l'école rurale) qui s'est transformées ensuite en les CREPSC (Centres de Recherches des Petites Structures et de la Communication). Et l'ensemble de cette mouvance se retrouvait en 1991 dans un colloque organisé au VIGEANT (Vienne) "ecole rurale". 150 parents, élus, enseignants en provenance de 27 départements pour la première fois explicitaient pour quelles raisons ils tenaient à leur classe unique. Les actes de ce colloque ont été publiés avec les moyens du bord (malheureusement je n'en ai plus d'exemplaires mais peut-être un colistier les a-t-il encore et pourra vous les transmettre).
Dans la foulée les participants se retrouvaient 6 mois plus tard à l'Aubépin dans le Rhône et fondaient la Fédération Nationale de l'ecole Rurale.
Il s'en suivi des premières visites au Ministère de l'Education Nationale pour défendre notre cause. Le Ministère se défendait en disant qu'il n'y était pas pour grand chose vu que, disait-il, c'était les enseignants et les parents qui fuyaient ces petites écoles.
Du coup pour donner de l'ampleur à la contestation, l'appuyer sur des faits et les faire connaître, un second colloque fut organisé en 1993 à CROZON (Finistère). Cette fois 600 personnes se retrouvaient venant de 60 départements. Des personnalités comme Philippe MEIRIEU (directeur des IUFM et directeur de l'IUFM de Lyon), Hubert MONTAGNER, Michel AUTHIER, PJ HELIAS Françoise OEUVRARD y vinrent apporter leur soutien et leurs travaux. D'autres comme Albert JACQUARD, Edgar MORIN, Boris CYRULNICK nous soutinrent également.
Entre temps le Ministère pour couper court à cette contestation avait commandité des travaux à Françoise OEUVRARD de la Direction de l'Evaluation et de la Prospective, puis à Alain MINGAT de l'IREDU (Institut pour la Recherche en Economie de l'Education) de Dijon. S'appuyant sur les statistiques des évaluations nationales, elle démontrait, à la stupéfaction générale, que les résultats des CU étaient ... supérieurs à la moyenne nationale. Dans le même temps elle s'apercevait également que les résultats des RPI éclatés (pour éviter d'avoir une CU ou la disparition d'une école, 2, 3 ou 4 villages s'associaient pour qu'il y ait les petits dans une école, les moyens dans une autres, les grands dans la 3ème) étaient, contrairement à ce que l'on pensait, inférieurs à la moyenne nationale. Dans la foulée Alain MINGAT démontrait que la suppression des CU ne se traduisait pas par une économie mais par un transfert des dépenses de l'Etat aux collectivités locales (en particulier transports) et qu'en tenant compte des effets induits difficilement chiffrables (santé, périclitement des villages sans école etc.) la suppression pouvait même être considérée comme plus coûteuse qu'un maintien.
Une mission de 7 inspecteurs généraux dirigée par Jean FERRIER aboutissait sur un autre rapport où était en particulier souligné l'incroyable : il apparaît que les résultats des classes à plusieurs cours sont légèrement supérieurs aux classes à deux cours, eux-mêmes supérieurs aux classes à un cours !
Le colloque de CROZON et les travaux cités semèrent le trouble dans les couloirs du Ministère où le discours devint plus prudent et un moratoire suspendant toute suppression d'école rurale fut décrété. Il a été abandonné lors de l'arrivée de Ségolène Royale au MEN.
Un troisième colloque international cette fois a été organisé par les CREPSC à AUTRANS (Vercors) en 1995 : École Rurale, Communication et Technologies Nouvelles. Avec l'appui du parc Naturel du Vercors, de l'INRP et.... du rectorat de Grenoble ! Une centaine d'intervenants, 5 pays représentés ! Ce colloque pointait l'étonnante implication des classes uniques dans l'utilisation des technologies nouvelles.
Un dernier colloque organisé par la FNER eut lieu à POITIERS en 1997 "écoles et territoires" avec la venue entre autres de Bernard CHARLOT et Agnès VANZANTEM (actes édités par la FNER).
Ces dernières années le mouvement s'est un peu étiolé : Officiellement il n'y a pas de politique nationale d'éradication. Tout dépend de l'appréciation de chaque Inspecteur d'Académie... et des rapports de force qui s'établissent. Dans certains départements, le discours concernant les CU est très nuancé. Dans d'autres c'est un retour pur et simple aux discours d'antan (archaïsme) et la méthode des pressions, en particulier sur les élus.
Dans les résultats des travaux cités, ce qui dérange le plus c'est leur apparente irrationnalité : comment se fait-il que dans ces classes difficiles, compliquées, où le maître doit se morceler en mille morceaux (c'est ce que l'on croit!) où peu d'enseignants veulent aller, où le milieu socio-culturel est plutôt lui inférieur à la moyenne nationale, comment se fait-il que dans ces classes on apprend au moins aussi bien que dans les autres ? Bien sûr nous sommes quelques-uns à en avoir une idée et avoir justement cherché à comprendre. A expliciter que ce que l'on prenait pour des défauts (hétérogénéité maximum, petites structures, isolement apparent) étaient en réalité ce qui en faisait des lieux éducatifs par eux-mêmes. Et à en tirer une autre approche et une autre pratique de l'école. Mais il est incroyable que l'Etat, alors que l'hétérogénéité pose partout des problèmes que l'on n'arrive pas à solutionner, alors qu'il bute sur les problèmes d'échecs, de mise en route de ses réformes (cycles, introduction des TIC,... qui ne posent aucun problème aux CU), il est incroyable que cet Etat ne se soit jamais penché sur ce qui fonctionne justemnt depuis... près d'un siècle. Alors qu'il dépense une énergie et des moyens dans des établissements expérimentaux difficiles à mettre en route et contestés.
Nous avons (les CREPSC) fait l'an passé une proposition au ministère : protéger les dernières CU existantes en en faisant un "observatoire de l'hétérogénéité". Elle est restée sans réponse.
On peut dire que les grandes pédagogies modernes et en particulier la pédagogie Freinet sont nées dans les petites écoles rurales. C'est dans des CU qu'elles ont pu aller très loin (dans ce que j'ai appelé une pédagogie de la structure et de la communication, ed CREPSC). Elles ont été plus récemment les pionnières dans l'utilisation des TNC. Voilà succintement l'exemple du réseau dont je vous ai parlé :
Pour à la fois défendre ce que nous considérons comme un outil exceptionnel, mutualiser nos observations et réflexions à propos de nos pratiques, réaliser une co-formation et un réseau d'entraide, nous avons créé les Centres de Recherches des Petites Structures et de la Communication (CREPSC). Centres avec un S parce que nous posions comme a priori que tous les enseignants, et en particulier les enseignants de classes uniques, sont de facto des "chercheurs".
Pendant des années (depuis 1985) un nombre important d'enseignants des classes uniques ont ainsi échangé quotidiennement par minitel puis sur internet sur les listes de diffusion de Marelle, leur serveur. Là encore, sous l'ignorance de l'éducation nationale, ces enseignants ont créé un véritable groupe de recherche de praticiens selon une méthodologie dont vous pourrez avoir un aperçu sur leur site www.marelle.org.
Nous avons également fondé avec l'Institut des Communautés Educatives du Portugal et la Fédération des Mouvements de Rénovation Pédagogique espagnols, l'ADELE (Association pour le développement de l'école locale européenne - le "locale" portugais se traduisant par "de proximité" en français).
Au fait vous trouverez également sur le site UNICEF l'expérience Colombienne soutenue par la banque mondiale de scolarisation de toute une région selon les principes que nous défendons (hétérogénéité, importance primordiale de l'environnement, des habitants des villages...) expérience qui donne des résultats là aussi supérieurs à ceux de l'école traditionnelle des autres régions.
Le concept de travail en cycle est né des programmes de 1989.
Le concept de classe de cycle en particulier provient de l'analyse des premières évaluations nationales d´entrée en 6ème. Celles-ci ont montré que les élèves provenant de classes rurales, souvent des classes à plusieurs niveaux voire des classes uniques, manifestaient une maîtrise des compétences scolaires supérieure à celle d'enfants scolarisés en ville et n'ayant fréquentés que des classes à un seul niveau "officiel".
Ce constat a permis la création de classes de cycles, c'est à dire d'entités d'élèves évoluant sous le même champ de compétences mais pouvant disposer d'une autonomie certaine, guide des apprentissages. En somme, penser des classes de cycle était au départ reconnaître que dans une classe de même niveau d'âge plusieurs niveaux de maîtrises existaient mais que l'appellation générale (CE1, CM2, ...) conduisait plus à s'adresser exclusivement aux enfants "dans la norme", c'est à dire ni trop en avance, ni trop en retard.
Progressivement, penser des classes de cycle consistait à pédagogiquement obliger des enseignants à entrer dans la différenciation pédagogique et ainsi, permettre aux élèves un accès à l'autonomie dans le travail, vecteur d'apprentissages autres que purement scolaires : la rencontre interpersonnelle, l'affirmation de soi, le sens de l'école, ...
Dans les faits, il est possible de penser de bien des manières la classe de cycle. D'ailleurs, la nature même du cycle détermine en partie cette forme. Alors qu'une classe de cycle III pourra s'appuyer fortement sur le travail à partir de fiches en raison de l'accès à la consigne par les élèves lecteurs, une classe de cycle II verra son projet essentiellement axé sur le travail à plusieurs et l'entraide entre des enfants de CE1 et de CP. De plus, à l'intérieur d'un même cycle, il est également tout à fait envisageable de penser la classe de manières très différentes. Je ne parlerai donc ici que de ce que nous faisons, étant donné qu'il ne s'agit que de classes de cycle III.
En fin de cycle II, et une fois que les enseignants ont opté pour un accès au cycle III, ceux-ci constituent des groupes d'enfants hétérogènes dans les modes de relation, l'accès à l'autonomie et la maîtrise des compétences scolaires. Ces enfants sont alors répartis de manière tout à fait aléatoires dans les classes de cycle III.
En début d'année, ces enfants arrivent en tant que 1ères années (CE2) dans des classes où près d'une moitié des élèves se connaissent déjà. Il y a en fait un renouvellement lié aux enfants qui partent au collège et à ceux pour qui nous pensons intéressant de rencontrer d'autres élèves et un autre enseignant. Nous estimons à environ deux mois le temps d'adaptation dont ces enfants ont besoin pour bénéficier d'une vue d'ensemble relativement générale du dispositif de classe et pour se constituer les compétences minimales pour l'accès à l'autonomie dans le travail. A noter que ce temps consacré ne l'est qu'en première année puisque pour les années suivantes, les enfants n'ont qu'à poursuivre les travaux engagés. Une aide sur laquelle nous nous appuyons pour parfaire cet apprentissage méthodologique est le tutorat par des enfants qui évoluent dans la classe depuis plusieurs années et qui se mettent à disposition de ceux qui y effectuent leurs premiers pas.