" C'est quoi monsieur une création mathématique ?
- C'est n'importe quoi. Avec des points, des chiffres, des nombres et des lettres, vous faites n'importe quoi. Tout le monde en est capable." Paul Le Bohec
" Le langage mathématique, comme tous les autres langages, crée une représentation particulière du monde, ayant sa propre cohérence. Le langage mathématique ne s'intéresse qu'aux objets dépouillés de toute caractéristique intrinsèque." Bernard Collot
Je dirais qu'un texte mathématique ou une recherche mathématique est une création mathématique contenant des liens entre des objets, symboles, nombres et/ou signes.
J'ai exploré les textes mathématiques pendant plusieurs années. Ce tâtonnement a porté ses fruits tant au niveau du plaisir éprouvé par les enfants et moi-même qu'au niveau de la construction du langage mathématique et même de la langue mathématique codifiée connue. J'avais encore besoin des fichiers de numération aux éditions PEMF mais de moins en moins. Nous utilisions cependant encore les livrets de tests de numération qui permettent de se repérer plus facilement et de rendre les progrès plus lisibles.
Au sujet de la recherche mathématique, Emmanuel HEROLD dit ... qu'elle permet à l'enfant de développer son envie du moment, que l'adulte est là pour faire évoluer la création. Il me semble que l'adulte dans ce cas là peut avoir une influence très grande sur l'enfant, car il viendra voir la création et donnera son avis, sa vision des choses. La vision d'une personne qui a déjà construit son langage mathématique. Le tâtonnement est présent mais peut fortement être influencé. Il me semble que le tâtonnement, même s'il est présent, peut très facilement être court-circuité, la posture de l'adulte est très importante."
Chaque jour, l'enfant devait soit faire un texte mathématique, soit recopier un texte mathématique qu'il m'avait préalablement montré. Ce travail obligatoire pouvait être fait quand il voulait dans la journée.
La phase de création n'était pas forcément individuelle. Certains appréciaient parfois se mettre à deux.
Certains enfants voyaient des textes de camarades que je ne voyais pas, puisque c'étaient les enfants qui décidaient ou pas de "faire corriger" leur texte.
Ceux qui le voulaient pouvaient présenter leur texte mathématique à la classe lors des deux réunions quotidiennes ou dans leur rendez-vous quotidien avec leur P'tit Groupe (7 ou 8 enfants hétérogènes en âge). Pour cela, en général, ils le numérisaient et le projetaient sur l'écran du vidéo projecteur. Ce moment de partage était primordial. C'était grâce à lui que le phénomène de contagion pouvait avoir lieu. C'est aussi grâce à lui que certains avaient envie d'aller plus loin dans leur texte.
D'autres moments de partage autres que institutionnalisés existaient, puisque les enfants circulaient librement dans la classe générant ainsi de nombreuses rencontres.
Si l'enfant voulait recopier son texte mathématique, il le déposait dans une corbeille. Le lendemain, je l'appelais pour voir avec lui son texte, le corriger, le compléter, à l'instar d'un texte en français.
Au stage Belley II, en août 2006, Paul Le Bohec avait souligné l'importance du travail de recopie qui installe, qui imprègne. Dès l'année suivante, j'ai pu vérifier son impact sur les textes français tant au niveau des écrits eux-même, mais également sur l'orthographe et la qualité d'écriture. A la fin de cette année, je me suis dit que ce travail de recopie, cette imprégnation pourrait peut-être avoir également des impacts positifs sur les textes mathématiques. J'ai modifié alors ma pratique qui s'est affinée depuis grâce à mes observations.
En 2010, dans la classe des Schtroumpfs de Saint-sorlin-en-Bugey, il s'agissait d'un temps obligatoire pour ceux qui n'avaient pas écrit de texte mathématique depuis le dernier temps obligatoire.
Au choix :
La vidéo est un extrait de ce qui s'est passé un jour au coin regroupement pendant ce moment.
Lucas n'avait pas d'idée au départ. Quelques instants plus tard, il arrive vers moi...
Au début, je me sentais un peu dépourvu devant les textes mathématiques, mais, petit à petit, j'ai pris moi aussi du plaisir à améliorer, à enrichir le texte avec l'enfant.
Dans un premier temps, je cherchais à comprendre son texte, à voir les liens qu'il faisait et ceux qu'il ne faisait pas. Si je ne comprenais pas quelque chose, je lui demandais de m'expliquer, de préciser.
Puis, suivant mon intention sur cet enfant, je lui proposais des enrichissements, des prolongations que je faisais devant lui et avec lui. Je pouvais donc être amené à ajouter des petites choses sur son texte math ; je le regardais alors, voyait en lui s'il comprenais ou pas. J'évitais de trop parler, mes doigts se posaient sur des objets de son texte en l'interrogeant implicitement sur le ou les liens entre eux (*). J'enrichissais son texte en fonction de ce que je ressentais par rapport à lui (son envie, sa volonté d'aller plus loin, sa paresse....). J'ajoutais des points, de nouveaux liens, j'en profitais pour mettre des mots (vocabulaire) de notre langue mathématique. Lorsqu'ils utilisaient incorrectement un signe codé connu, je leur disais d'inventer un autre signe car celui-là avait une autre signification que je leur rappelais (exemple classique, le signe "=" qu'ils associaient à tort "résultat à droite")
L'enfant pouvait ensuite recopier son texte mathématique avec mes ajouts ou pas.
Au début, certains n'étaient pas en recherche, ils ne cherchaient pas à faire des liens. Puis, petit à petit, grâce à mes remarques et mes questions ainsi qu'à celles de certains de leurs camarades qui avaient vu leur texte (pendant le temps de travail personnel ou les temps de groupe), ils passaient petit à petit de la création à la recherche.
Plus l'enfant aura manipulé, créé des objets abstraits/mathématiques et des liens entre eux, plus facilement il pourra entrer dans la langue mathématique qu'on connaît qui n'est ni plus ni moins qu'un ensemble de codes et de liens entre des objets abstraits.
(*) Demander d'apprendre par coeur des formulations voire même des raisonnements ne permet pas voire entrave le développemment du langge mathématique qui n'est pas un langage oral.
Emmanuel HEROLD dit ... le débat mathématique libre permet à chacun, si le groupe est positif, de s'exprimer et de dire ce qu'il comprend, voir même des "bétises". Ces bétises pourront être reprises, et mises à l'épreuve grâce au débat. Le langage se construit collectivement, et le tâtonnement est prépondérant dans cette organisation. Ici l'adulte doit prendre une position d'accompagnant, voir même d'ignorant pour laisser libre la parole. Ces temps sont très prenants au niveau de l'énergie aussi.
Dans le débat, bien entendu l'adulte a une parole très forte (d'où l'importance de prendrela posture d'ignorant) mais même sa parole est mise à l'épreuve.
Dans ma pratique, le temps de débat est très importante, mais je me rends compte que les enfants ont besoin de pauses de temps en temps et de se recentrer sur leurs envies."