Kilian sollicite Arnaud pour apprendre à écrire. Arnaud lui demande : "Pourquoi tu veux écrire ? C'est quoi ton réel besoin ?”
En plaçant l’enfant et non le programme en point d’entrée, de nombreux problèmes disparaissent, notamment celui de la motivation. L’entrée dans le langage écrit s’effectuera par une motivation intrinsèque. L’enfant ne va pas écrire pour faire plaisir, ou par devoir, ou parce qu’il faut ou parce qu’il y a dans la classe un temps d’écriture. Il écrira parce qu'il aura vraiment envie d'écrire.
C’est important que la motivation à entrer dans le langage écrit soit intrinsèque.
La pression sociale peut pousser l’enfant à vouloir apprendre à écrire avant d’écrire, ce qui ne peut que compliquer l’entrée dans ce langage. L’entrée naturelle dans tout langage est son exploration. Je ne reviens pas sur le langage oral ou la marche verticale qui font partie des premiers langages explorés par le jeune être, et qui le démontrent.
Pour remédier aux difficultés d’apprentissage des enfants qui ne sont pas passés par cette étape d’exploration dans laquelle ils auraient pu oser, essayé, tâtonné, il devient alors nécessaire de leur permettre de se libérer.
Prenons la situation dans laquelle l’enfant va voir l’adulte et lui fait part de son envie d’apprendre à écrire. L’enfant a ici une représentation qu’il a créée à travers ce qu’il a traversé depuis sa naissance: “Pour écrire, il faut d’abord apprendre à écrire».
Comment faire pour que l’enfant explore avant de commencer un quelconque éventuel apprentissage ? Ne pas répondre à sa demande, et l’encourager à explorer :
- Mais vas-y, écris”.
Voire même, comme l’a déjà fait Arnaud :
- Mais en fait, tu veux, tu veux écrire, mais pourquoi ? C'est quoi le besoin ?”
L’idée première n’est pas de diriger les enfants vers l’écrit, mais d’attendre qu'ils aillent vers l'écrit.
Avant d’apprendre à utiliser l’écrit de notre langue maternelle, laisser une trace écrite exprimant une pensée permet d’entrer dans l’écrit par le sens, ainsi que par la puissance et la jouissance que ce langage apporte. La construction et le développement d’un langage (ici l’écrit) facilite grandement l’acquisition d’une langue (c’est la même chose pour les mathématiques).
En osant par exemple faire parler ses personnages qu’il dessine depuis un certain temps, il franchit un cap, et c’est bien là qu’il entre dans l’écrit en mettant du SENS. C’est la première étape.
Naturellement, sans la pression sociétale de l’apprentissage de la lecture ou de l’écriture, l’enfant passerait par cette étape d’écrire avant de connaître notre langue : laisser une trace ayant une signification pour lui.
A ce stade, vouloir être lu n’est pas sa préoccupation. Vouloir être lu et donc utiliser un codage compréhensible par d’autres est une seconde étape bien distincte de cette première étape fondamentale. Au début, les enfants veulent écrire pour eux. Ils ne veulent pas écrire pour être lu et compris par d'autres. Ça, c'est une seconde étape qui lui fera comprendre qu’il est nécessaire d’avoir une langue commune. Pour l’heure, il veut explorer le langage de l’écrit et sa puissance.
Personnellement, j’ai pu déconstruire mes représentations et me reconstruire en écrivant sur ma pratique et sur ma recherche sur une liste de diffusion que j’avais créée. Pas forcément pour être lu, puisque je me répondais souvent à moi-même et que je n’attendais pas à recevoir des réactions ! Dans ces moments, j’ai perçu la puissance du langage écrit, distinct de la langue, utile pour pouvoir être lu.
A ce stade, on se moque donc de la manière dont l’enfant écrit. Que l’enfant veuille faire parler ses personnages, écrire des « chaudoudous », ou des histoires imaginaires :
- Ah ouais écris, vas-y, écris !
Si l’enfant n’est pas davantage formaté, il va y aller et va donc écrire. Il ne s’agit pas de gribouillis car les traces qu’il laisse sur le papier ont une signification précise.
L’adulte va s’intéresser à son écrit, partager avec lui son plaisir et la puissance de cette découverte.
- Génial ! T'as écrit quoi ? Tu peux me le lire ?
Cet accompagnement, ce partage va le faciliter à percevoir la porte des possibles qu’il vient d’ouvrir.
Petit à petit, il va affiner sa trace et se l’approprier. Cela va lui faire prendre conscience de la puissance de l’écrit, et renforcer son désir d’explorer ce langage.
- Là, j'ai écrit ça. Là, c’est “mon chat”. Là, c’est “mort”.
Et il continue en suivant avec son doigt sa trace écrite : “Mon chat est mort.”
L’enfant a associé à sa trace du sens, et souvent une émotion. Partager avec lui son émotion ou son enthousiasme à avoir réalisé une trace ayant du sens l’encouragera inévitablement à aller plus loin.
Évidemment, l’adulte l’accompagnera petit à petit, au fur et à mesure des écrits de l’enfant, dans sa découverte pour qu’il évolue :
- Pour que je comprenne, je peux l’écrire en dessous dans notre langue si tu veux.
Il dira oui ou non. Là, on a du temps, et il faut prendre le temps pour que l’apprentissage soit le plus efficient possible. Aller au rythme de l'enfant. Peut être que c'est pas le moment de lui transcrire sa pensée dans une langue. Attendre que l’enfant le demande, ou simplement lui suggérer.
Au début, la trace écrite ne peut représenter qu’un simple mot. Puis, elle reflétera petit à petit une pensée plus complexe. Je portais un intérêt plus important encore à cette trace lorsque celle-ci correspondait à l’expression d’au moins une phrase, ce que j’ai appelé « unité de pensée ». Parfois, j’encourageais voire même j’orientais vers ces unités de pensée en traduisant son expression en une phrase structurée que j’écrivais en dessous après avoir obtenu son accord. « Un chien » devenait « C’est un chien. »
Le premier apprentissage de la langue écrite sera la délimitation de ces unités de pensées. On marque le début et la fin. L’enfant peut symboliser ce début et cette fin à sa manière, ou bien, on commence déjà à lui parler de majuscule et de point. A voir, ou à combiner...
Petit à petit, l’enfant va se rendre compte qu’il y a des unités de sens plus petites, et on arrive aux mots qu’on va séparer.
Plus tard, on entrera dans les mots pour découvrir les syllabes. Les sons et les lettres n’arrivent donc qu’à la fin du processus, et non au début.
Lorsque l’enfant vient voir l’adulte pour lui faire part de son envie d’apprendre à écrire, il vient chercher une autorisation, ou une restriction. Le fait qu’il parle d’apprentissage montre que, dans ses représentations, un protocole à suivre ou à faire peut ou semble exister avant de pouvoir écrire. Il vient vérifier et semble tellement motivé qu'il est prêt à accepter une méthode, des fiches ou de la recopie.
Deux choix se présentent à l’adulte :
Lui permettre de FAIRE est l’acte éducatif le plus efficient.
Cela lui montera qu’il a les capacités à entrer dans le langage écrit, qu’il peut avoir confiance en lui et l’importance :
Cela aura une incidence positive dans bien d’autres domaines que celui de l’écrit, puisque l’enfant, en intégrant ces nouvelles représentations, s’autoriser à chercher en faisant des essais, si important dans les mathématiques par exemple.
Dans l'environnement, l’enfant n’est pas que sous l'influence de l’adulte de la classe. L’enfant va évoluer, se développer à travers tout son environnement et on ne peut pas aller à l'encontre de cela.
On ne peut pas faire en sorte que les autres se comportent comme nous, etc.
Je me rappelle par exemple de B.. Je l’avais eu à ses 3 ans, il n’avait donc pas eu d’autre instit avant moi. Avant, j’avais eu d’autres enfants dans la classe dès 3 ans et j’avais pu avoir cette démarche, comme je vous l'ai présenté précédemment. Ils avaient dessiné, inventé leur écrit etc. Je pensais donc qu’avec Bastien ça allait faire pareil, puisqu’il allait vivre la même chose que les autres enfants que j’avais eu. Bah non, pas du tout !
Pour lui, l’écrit, c’était forcément des lettres. Donc, à partir du moment qu'il entendait le mot « écrit », jamais il ne se permettait d’écrire. Même à 3 ans, lorsqu’il entendait le mot écrit, il cherchait une lettre. On peut dire qu’il n’est pas entré dans l’écrit à ce moment là, qu’il ne pouvait pas. C'était tellement ancré dans sa tête qu’il n’a jamais pu passer par la démarche présentée précédemment.
On est bien obligé d'accepter :
Ce qui nous guide, c'est l'élan de l’enfant qu’on a intérêt à suivre.
Ce dont on doit se méfier, ce sont d’éventuels principes.