1ère phase - Le tâtonnement expérimental
Cette phase pourrait faire 4 phases distinctes mais elles se confondent parfois dans l'instantanéité, tellement elles sont incluses dans l'action même, tellement elles sont imprévues et s'enchaînent, tellement elles peuvent devenir continues dans la pratique.
L'observation
Elle est continue. Ce sont les réactions, les comportements de chaque enfant et du groupe qui sont importants. Cette observation devrait se faire de la façon la plus ouverte possible. C’est tout ce qui n'est pas conforme à nos attentes qui est intéressant parce que ce sont ces observations qui sont signifiantes et qui doivent amener à une modification, non pas des comportements de l'enfant mais d'abord des nôtres. L'observation est de plus en plus facile au fur et à mesure que l'enfant et son groupe s'impliquent dans des projets multiples qui sont intrinsèquement les leurs. Elle sera d'autant plus facile quand l'enseignant pourra voir se dérouler projets personnels ou projets collectifs sans en être à l'origine ou le moteur. Alors il pourra se trouver en position d'aide ..... et de tâtonnement.
Hypothèses et tâtonnement
Toute action ne peut être bâtie qu'à travers des hypothèses. Le tâtonnement est une succession d'hypothèses et d'actions.
Les actions permettent à leur tour de formuler d'autres hypothèses et d'engager d'autres actions. Dans son activité professionnelle, le professionnel est exactement dans la même situation que l'apprenant. Il peut n'avoir qu'un seul projet : permettre et aider l'enfant à progresser dans son appropriation des langages.
Une infinité de situations poseront problèmes. Ce sont ces situations observées qui vont l'engager dans le tâtonnement pédagogique. Il va alors modifier un certain nombre d'éléments de la structure, y compris ses façons d'être ou d'agir, et ceci d'une façon continue. Puis, évaluer la pertinence de ses choix. L'ajustement de ses essais, leur modification, sont donc permanents.
Tâtonnement qui inclut obligatoirement un très grand nombre d'échecs. Ceux-ci n'auront aucune espèce d'importance puisqu'ils s'inscrivent dans une succession d'essais jusqu'à l'obtention de ce que l'on recherche. Ou, au contraire, ils auront une grande importance puisqu'ils éliminent quelques hypothèses et permettent d'en bâtir d'autres.
Validation
Elle se fait elle aussi en continu.
C'est la réalité immédiate qui validera son hypothèse ou l'engagera à tenter autre chose. Contrairement à toute méthode expérimentale ou la validation intervient au terme de l'expérience, dans le tâtonnement expérimental la validation est immédiate, continue et permanente. C'est elle qui oriente le processus même du tâtonnement. Elle n'est pas faite a posteriori (tests, contrôles...) mais au moment même de l'action.
Elle y est intégrée : j'aide un enfant à résoudre une difficulté orthographique qui l'arrête dans un projet d'écriture. Je vois immédiatement si mon aide a été pertinente et efficace. Si c’est le cas, il peut poursuivre son projet sans moi. Dans le cas contraire, il faudra que j'émette immédiatement une autre hypothèse, que j'entreprenne une autre action jusqu'à ce que le processus d'apprentissage soit enclenché. Le praticien-chercheur est constamment dans ce cycle du tâtonnement.
Le praticien recherche en permanence l'adéquation entre hypothèse, action et réalité. Si la réalité ne valide pas l'action, sa visibilité est immédiate et la reprise du tâtonnement également. L’expérimentation correspond toujours à un cheminement qui s'effectue en temps réel.
2ème phase - Le recul par rapport à l'action
Si le praticien-chercheur s'arrête à ce stade, et c'est souvent ce qui arrive, les résultats de son cheminement restent fragiles et surtout le cheminement lui-même est à refaire en permanence, d'où épuisement et non réinvestissement dans un champ ou dans un temps plus large.
L’étape suivante consiste donc à analyser le cheminement :
- dans sa perspective historique : chronologie et contexte
- dans sa perspective structurelle : identifier les actions et ce qui a été modifié par chacune d’elle
Le praticien-chercheur va théoriser !
Qu'est-ce qui a pu faire que des processus se soient engagés ? Qu'est-ce qui a pu faire que ces processus ne s'enclenchent pas ?
Il ne peut faire l'analyse des expériences de la même façon qu'un physicien ou un chimiste, tant les données qui pourraient expliquer telle réussite ou tel échec sont du domaine de la complexité. C'est donc en faisant l'historique de ses actions, de ses cheminements ainsi que ceux des enfants et du groupe qu’il pourra trouver des fils conducteurs permettant de faire évoluer ses actions, d'avoir une vue plus globale de ce qu'il peut considérer comme des repères. C'est en faisant ces historiques qu’il peut mieux comprendre.... ce qu’il a fait ou pas fait.
Cela ne conduit pas le praticien à des certitudes mais permet de poser un certain nombre de repères. Ce sont ces repères qui faciliteront la formulation d'autres hypothèses, d'autres tâtonnements dans d'autres situations, avec d'autres enfants, avec le groupe.
Il va en déduire des premiers « modèles » qui fonctionnent dans son système, qui va lui permettre de poursuivre une action plus consciente, plus sûre, plus facile. Il continuera les transformations, et l'affinement des pratiques.
3ème phase - Échanges et confrontations avec d'autres
Elle est essentielle.
Les expériences des uns seront ainsi lues à travers les expériences des autres. Chacune permettant soit la confrontation avec son propre cheminement, soit de nouvelles ouvertures, de nouvelles approches, soit des éléments qui permettent d'expliquer réussites ou difficultés.
L'échange permanent entre praticiens est la façon la plus sûre de placer des repères dans des cheminements différents. Aucune expérience - aucun vécu - ne se vit isolément. Les tâtonnements de chacun sont ainsi enrichis de la complexité des autres. L'intuition de chacun s'appuie non seulement sur l'infinité de ses propres expériences mais aussi sur celles des autres. Elle ne doit rien au hasard
C'est la répétition de phénomènes découverts au cours de pratiques différentes ou semblables qui permet d'asseoir de façon plus générale des modèles théoriques qui commenceront alors à avoir un caractère plus universel qui garantira leur possible réinvestissement.
4ème phase - La théorisation
Le cheminement est l'apport essentiel des praticiens chercheurs. Ce sont leurs cheminements qui vont constituer les points sur lesquels d'autres praticiens pourront s'appuyer, qui vont constituer des éléments de certitudes sur lesquels les systèmes éducatifs pourraient se baser pour évoluer.
Le principe de réalité empêche d'avoir des certitudes sur toute "découverte". Par conséquent, pratiques, perspectives et objectifs devront sans cesse être revus. Le modèle bâti n'aura donc de sens que dans l'instant.
Cependant :
- la construction de "modèles" par les praticiens étant liée d'abord à la réalité leur confère une efficacité immédiate,
- ces modèles étant sans cesse remis en question par des situations toujours différentes assurent leur évolution.
Les recherches des praticiens ne font courir aucun risque aux enfants, ne les transforme pas en cobayes mais les laissent constamment sujets. Ils sont en quelque sorte les vrais "maîtres" et orienteurs de la recherche.
Ces 4 phases se succéderont sans cesse parce que chaque recherche modifie la structure, les comportements, les a priori, les croyances, recréant chaque fois une situation nouvelle c'est à dire une complexité nouvelle qui reposera des problèmes nouveaux. C'est ainsi que peu à peu une mutation s'opère en profondeur.
Le système éducatif
Il parait évident que le système éducatif doit prendre en compte l'apport des praticiens. La recherche scientifique de la post-modernité exige :
- leur reconnaissance et la parité avec les chercheurs des sciences humaines,
- la présence permanente dans le champ du réel,
- la construction permanente et multiple de modèles issus des pratiques,
- la reconnaissance très momentanée de modèles issus des convergences et la certitude que leur intérêt ne réside que dans la précarité.
à partir de « Une méthodologie de la recherche dans la complexité » et « Schématisation d'une méthodologie de la recherche des praticiens » écrits par Bernard Collot en 1996